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Le gamin écoute les histoires à faire peur. Elles sont pourtant atroces ‒ un peu comme les contes de Grimm chez nous ‒, mais il faut apprendre aux jeunes âmes que le Mal existe et que la vie est un dur combat. […]

La Main qui parle





Tizianna et Gianni BALDIZZONE



Combien en avions nous saisi, observé, admiré, de ces mains, parées ou souillées, affairées ou au repos, à la peine ou à la joie ! Et leur ronde semblait nous murmurer une drôle de confidence : que c’est elles qui nous avaient fait ce que nous sommes, et que nous étions peut-être en train de l’oublier.


L’homme dit civilisé en serait-il venu, en gagnant une puissance sans cesse démultipliée par la machine, à se laisser déposséder de son meilleur, de son plus sûr attribut : à « perdre la main » ?





AVOIR LA MAIN… Vertu première de l’artisan, qui exige sans doute des dispositions mais plus encore un long apprentissage. Toute l’industrie humaine est née de nos dix doigts, relayés dans leur tâche il y a cinquante mille ans déjà par toute une batterie d’outils qui en prolongent l’efficience, et dont beaucoup (le couteau : d’os ou de silex hier, de métal aujourd’hui) n’ont pas fondamentalement évolué. Mais cet appareillage lui-même ‒ avant la multiplication, au XIX° siècle, des machines mues par les énergies dérivées ‒ ne changeait pas la donnée de base : l’homo faber, qu’il soit paysan, ouvrier, artisan, artiste, se devait avant tout d’« avoir la main ».



Les mains de ces hommes, de ces femmes, de ces enfants (n’oublions pas les enfants !... ils savent tant de choses qu’on nous a forcé à désapprendre) […] nous font souvenir, sans être pour cela philosophes, que nous risquons de nous appauvrir beaucoup à oublier ce que notre corps sait faire et sait nous dire […]
LA MAIN et le visage sont bien sûr les deux lieux du corps où s’exprime le plus fortement l’ambivalence de notre nature : bouche nourricière, animale, mais aussi parlante ; doigts prédateurs, mais aussi pétrisseurs de la matière, inventeurs de forme. Zones de contact hypersensibles où s’affrontent les deux forces qui commandent le destin de l’espèce : nécessité et liberté.

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