LE MOMENT SEJONG


Il est des moments dans l'histoire où tout concourt à un équilibre heureux : le retour à la paix, la reprise économique, le ralliement du plus grand nombre au système de gouvernement. Le règne du roi Sejong (1418-1450) que parachevèrent ses héritiers jusqu'en 1494, constitue sans conteste un de ces moments. [...]

[…] quand on a des mains, on en fait quelque chose, et on peut même leur faire faire n’importe quoi. Avoir des mains me permettait d’agir sur le monde des choses en fabriquant des outils en silex taillé et sur le monde des représentations en gestuant des signes manuels. […]



[…] A l’époque où Monsieur Sapiens fabriquait des outils mal taillés et des objets mécaniques inachevés, il réalisait déjà de véritables chefs-d’œuvre. Il dessinait, sur de simples galets ou sur des os d’animaux séchés, l’idée qu’il se faisait du monde. La main qui lui avait permis de fabriquer un outillage encore imparfait avait rendu possible la projection de son monde mental sur l’écran qui composait la surface lisse d’un caillou ou d’un os plat. Son monde intime devenait visible. Grâce à son habilité manuelle, il produisait à volonté le monde qu’il était désormais capable de « prédire ». Maître du monde déjà il se voyait ! Et la découverte du feu n’a rien arrangé puisqu’en frottant deux bouts de bois ou en cognant l’un contre l’autre deux cailloux ronds, il mettait au jour une source d’énergie mystérieuse dont il pouvait domestiquer la puissance. […].



[…] Le simple fait de « prévoir » la forme d’un couteau ou d’un racloir et de pouvoir la donner ensuite au caillou informe qu’il tenait dans ses mains était déjà la preuve de son aptitude intellectuelle à l’abstraction. Cette faculté merveilleuse et terrible le rendait capable de se représenter la mort, abstraction absolue. Ce don l’ayant sans doute rendu fou d’angoisse, il lui fallait désormais lutter contre la terreur. Alors il construisit des sépultures et les décora pour tenter de contrôler la représentation qu’il se faisait de la mort. Il était en quelque sorte contraint à la création artistique pour lutter contre l’angoisse du vide et contre l’infini de la mort que son intelligence avait fini par lui rendre palpable. Merveilleux prix à payer pour lutter contre l’angoisse. […]
Shi shenme dongxi. C’est du chinois de tous les jours et je dirais cela – qu’est-ce que c’est que cet « est-ouest » ? – en pointant aussi bien cette chaise que vos lunettes, en pointant n’importe quoi, une chose x. A cela près qu’une telle « chose » n’est justement pas une chose ; et c’est là l’essentiel. Car « la chose » est saisie ici comme une relation, née d’une polarité, et celle-ci la met sous tension – celle du réel » ; d’où découle, ensuite, comme de sa source, du point de vue des idées, la logique chinoise d’un procès des choses par interaction. (page 60)

Penser d'un dehors





Le beau, le bien :

Cette nécessité intime à la représentation artistique mettait au monde la notion du beau, donc du laid, celle aussi du moral, donc de l’immoral, de la ressemblance donc de la dissemblance. Les cailloux colorés disposés autour du corps de celui qui venait de mourir, toujours vivant dans la mémoire des siens, devenaient des cailloux métamorphosés, des cailloux sémantiques qui voulaient dire : « Nous ne sommes pas des cailloux puisque, colorés et disposés en couronne autour du mort, nous désignons son corps et le faisons vivre encore dans la représentation de ceux qui pensent à lui. Grace à nous, il est un peu moins mort » […]

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