NOTES DE LECTURE





François JULLIEN

 La grande image n'a pas de forme



Un livre, un titre : « LA GRANDE IMAGE N’A PAS DE FORME ». Sous-(autre)-titre : « OU DU NON-OBJET PAR LA PEINTURE ». Au milieu de la page suivante, en italique, plus petit, seul et comme intimidé : « Essai de dé-ontologie ». Une page blanche... puis : « Cet essai part à la poursuite de ce dont, par principe, la poursuite est vaine [...] »


Cet essai part à la poursuite de ce dont, par principe, la pour-suite est vaine et qui ne se laisse pas concevoir, puisqu’il prend pour objet le non-objet : [ce qui] est trop flou-vague-diffus-évanescent-con-fondu pour se laisser immobiliser et isoler, plon-geant dans l'indifférentié, n'est de ce fait ni assignable ni non plus représentable, ne peut donc avoir la consistance d'un en-soi, se constituer d’« être » et, Gegenstand, se « tenir devant » - découpant ses arêtes – l’Œil ou l’Esprit ; [ce] dont nous faisons sans fin l’expérience nous reconduisant à l’indéfinition du foncier, mais que la science et la philosophie ont tôt fait de délaisser dans leur hâte à traiter logiquement les choses. Dans leur hâte à constituer un « ceci » manipulable par la pensée, en vue de répondre au : « Qu’est-ce que c’est ? ».

    Vers cet inobjectivable du « fond des choses » ...

Quatre pages plus loin, sous le titre « Réseau et corpus », François Julien abandonne l’italique pour une courte phrase et un petit paragraphe :

Cet essai n'est qu'un chapitre, il est sans conclusion, mais fait nœud dans mon travail.







 La valeur allusive

Avertissement


Sous la notion de valeur allusive, j’ai cherché à rassembler divers traits fondamentaux qui avaient organisé, en Chine, la pensée du texte (du
wen) en les démarquant à chaque fois – par confrontation progressive – des « théories » européennes de la littérature (qui sont elles aussi si diverses). C’est-à dire que je n’acceptais pas qu’une relation aussi variée et féconde, et développée pendant deux millénaires, en Chine, à part de nos références, se voie aussitôt ranger dans des catégories générales d’une poétique prétendument mondialisée ; et d’abord sous les rubriques d’« auteur » - « monde » - « œuvre » - « public », qui ne lui correspondaient pas. Celles-ci la stérilisaient. Il fallait se résoudre, par conséquent, à partir en quête d’autres plis possibles de la pensée pour repérer ces cohérences et les regrouper.

[…]

Blow-up : A la suite de « Vent » ci-dessus (*), disposons ce paragraphe...

Qu’il souffle de l’Est ou de l’Ouest, du Nord ou du Sud, il revient au vent d’exercer une influence sur l’ensemble de la Nature et celle-ci diffère selon sa provenance et selon la saison. En Chine, les hommes ont été particulièrement sensibles à une telle diversité d’influence et ils en ont fait le support de tout un ensemble de représentations : mœurs, attitude, style ; de fait, au sein de cette civilisation qui s’est définie très tôt par son attention portée aux tâches agricoles, c’est surtout à l’effet du vent printanier, comme influence favorable, que les hommes sont sensibles – vent « doux », vent « léger » - qui ranime la nature et porte à la végétation les bienfaits de la pluie.
   Le vent se lève et les herbes s’inclinent. Le vent souffle et toutes les cavités de la terre laissent entendre une multitude infinie de sons. Il revient au Vent d’animer en douceur mais en profondeur, l’infinie diversité des réalités du Monde naturel, et il confère à celles-ci l’essentielle beauté d’une harmonie vivante.
   « Vent-lune » ; « vent-lumière » ; « vent-flux » ; « vent-nuage » ; « vent-paysage » [...]

... extrait du livre « La valeur allusive de François Julien ».

La métaphore s’affirmait, prenait corps peu à peu. Nos « grandes images », nos découvertes étaient celles de la photographie, des cadrages et des recadrages du négatif, la recherche d’une vie (d’un inouï ?) qui apparaitrait peu à peu. Sous la lumière de l’agrandisseur, l’attente [...] et... la prise en main de cette attente, les impulsions données au flux du révélateur, les « touchers », les allers-retours prudents de l’index sur tel ou tel endroit de l’image en formation...

Cinquante ans plus tard, nous nous demandions encore que penser, de la vie, du langage, de nous-même...







La propension des choses

Les Maîtres mots :

« A » comme « homme » : Avant tout autre et comme il se doit, le « révélateur » fut François Cheng. Parmi les possibilités de considérer « d’une manière chinoise » la langue française il avouait :

« [...] que la graphie de certaines lettres ne [lui était] pas indifférente : A, homme ; E, échelle ; H, hauteur ; M, maison ; O, œil ; S, serpent ; T, toit ; V, vallée ; Z, zébrure , etc. »

Était-ce cela que François Cheng associait à l’éclair se détachant du nuage, au « Souffle du Vide-médian » qui passe « entre » les entités vivantes (*) ? D'autres remarques, d'autres « médiations » prenaient leur place.

que notre formation mathématique et technique nous mettait à l’abri des confusions habituelles entre les certitudes provenant de la pratique d’un langage logique et l'usage du chiffre. Du même mouvement, nous avions dû accepter notre ignorance, notre maladresse à lire et à penser le contradictoire.

Marcel GRANET

 La pensée chinoise



Les sages de la Chine ont toujours poursuivi de leur haine les balladins. Ceux-ci, quand ils font l'arbre droit, risquent de bouleverser le monde. Les hommes ont les pieds carrés et qui doivent reposer sur la terre. Ils sont coupables s'ils cessent de tendre la tête vers le haut : la terre est ronde à l'image du ciel.

Cinématographie : Comme Joël Bellassen et François Julien, nous appartenions à cette génération difficilement qualifiable de l’« après-guerre », celle des « baby-boomers », la « génération-pivot ». Notre formation était celle des mathématiques, du technique et des sciences. Nos grandes images étaient d'abord celles de la B.D. et du cinéma.

Cinquante ans plus tard, nous nous demandions encore que penser, de la vie, du langage, de nous-même. Nous avions depuis longtemps remarqué que notre formation mathématique et technique nous mettait à l’abri des confusions habituelles entre les certitudes provenant de la pratique d’un langage logique et l'usage du chiffre. Du même mouvement, nous avions dû accepter notre ignorance, notre maladresse à lire et à penser le contradictoire.

puis cette « capture d’écran », un copié-volé au film « Le maître d’armes » de Ronny Yu avec Jet Li...

taiqi

Nous étions bien évidemment incapable d’objectiver ce « fond des choses » mais, pour nous, en français, il avait un nom : « le réel ». A partir de là, les difficultés commençaient.

Les Maîtres-mots : Ces images (« Le vent se lève, les herbes s’inclinent [...] « Vent-lune » ; « vent-lumière » ; « vent-flux » ; « vent-nuage » ; « vent-paysage » [...] »), les créations typographiques du paragraphe suivant ( [...] [ce qui] est trop flou-vague-diffus-évanescent-con-fondu pour se laisser immobiliser et isoler [...] ), l'« entre source et nuage » de François Cheng (*) ?

Et enfin ... dressé (debout) sur cet inobjectivable du « fond des choses », ancré à ce Gegenstand de la philosophie européenne, nous aurions proclamé... le ridicule était inévitable...

taiqi

De temps à autre, il ouvrait et relisait un petit livre de Jean-Claude Milner « Les noms indistincts » en espérant retrouver, reconnaitre un peu de ses recherches dans cette « façon de penser » (*).

Cinématographie : Nous avions disposé le premier paragraphe ci-dessus pour qu’il apparaisse comme apparié à ce « Vent » de Zao Wou Khi sur lequel se terminait la page précédente.

Curieusement, ce fut un autre livre de François Julien (le chapitre suivant ?) qui se révéla libératoire. Le titre « La Chaine et la trame », cette image d’une liberté construite, d’un fil de chaîne, qui encadre et enferme la trame et ses allers-retours, libérait cet autre fil, celui du temps, de la vie, de notre vie :

FILM n.m. est un emprunt à l'anglais film « membrane » (XIe), de l'ancien anglais filmen. Ce mot trouve des correspondants dans de nombreuses langues indoeuropéennes (vieil allemand fell, vieil islandais fjall, lituanien plenè, latin pellis « peau », radical du grec palma « semelle [en peau] », etc.). On rattache ces termes à une racine pel « envelopper »». En anglais, film a signifié « feuille très mince » à partir du XVIe s. et est attesté en photographie depuis 1845, pour « couche de gélatine étendue sur la plaque ou le papier », d’où « pellicule pour la photographie ». (v.1880).
⬪ Ce dernier sens est repris du français (v. 1889). film désigne ensuite une « pellicule pour le cinéma » (1896) et par métonymie (1896) une oeuvre cinématographique puis l'art cinématographique. Au figuré, il signifie (1922) « déroulement d'événements. » [...] (Le Robert Dictionnaire historique de la langue française).

Ce fil, ce film, ce « déroulement d’événements », notre film commençait autour des années 1970 sur les chaises souvent inconfortables des (du) « ciné-club ». « Quelque chose » commençait à apparaitre, à prendre forme, mais, là aussi curieusement et comme à rebours, à contre-sens de cette apparition, nous nous demandions si cela (chaine ou trame), ce « quelque chose » pouvait être vu, être perçu par d'autres générations que la nôtre...

 La Chaîne et la trame

Les livres de François Julien nous permettaient de nous installer dans un état de contradictions permanentes : ce que nous appelions jusque-là des « contrariétés » devenait peu à peu « une façon de penser » habituelle, naturelle.

Les livres de François Julien nous permettaient de nous installer dans un état de contradictions permanentes : ce que nous appelions jusque-là des « contrariétés » devenait peu à peu « une façon de penser » habituelle, naturelle.

Cette « complicité avec celui à qui on s’adresse » nous semblait de plus en plus nécessaire.

Ces choix de mise en page et de typographie nous renvoyaient à ce « passage » de la page 1 (*) à la page 2 (*) du petit livre, à ce changement manifeste d’une « forme » de langage à une autre. Cette « autre » [forme] était celle de « nos » mathématiques : elle séparait les Grandeurs variables des constantes. Mais cette surprise n’était qu’une étape, le choc (le vrai) était survenu à la page 10 (*) :

Variables/constante

Le latin en Majuscule : Toutes ces remarques nous rendaient soupçonneux : Emanuele Banfi et Marie-Dominique Popelard déclaraient vouloir « croiser sur la calligraphie des questions esthétiques et une expertise linguistique [et] nouer [ces] deux aspects [...] » ; François Julien, sous le titre « Réseau et corpus » annonçait : «  [...] cet essai [...] fait nœud dans mon travail ». Nous ne pouvions que nous reporter au « chapitre » suivant ; « La Chaîne et la trame »...

Joël Bellassen, François Julien et François Cheng racontaient la même chose : les « Cultures-civilisations-langue-écritures » chinoise d’une part, « occidentale-grecque-romaine-française-anglo-saxonne » d’autre part, n’étaient pas opposées mais complémentaires. Nous avions remarqué cette majuscule que François Julien prêtait à (au ?) Gegenstand. Fallait-il y voir la marque de cette « manière chinoise » qui permettait à François Cheng de « vivre un grand nombre de mots français comme des idéogrammes » :

« vivre un grand nombre de mots français comme des idéogrammes la graphie de certaines lettres ne me soit pas indifférente : A, homme ; E, échelle ; H, hauteur ; M, maison ; O, œil ; S, serpent ; T, toit ; V, vallée ; Z, zébrure , etc. »

Vent :

Vent

...

Gegenstand : Voilà ! Nous y étions. Peut-être pourrions-nous, plus tard, reprendre et approfondir ces lectures, mais ce « Gegenstand » nous offrait un repère, un ancrage.

On ne pouvait que remarquer cette « création » typographique du « trop flou-vague-diffus-évanescent-con-fondu » : l’emploi de l’italique et du trait d’union créaient comme une fluidité de la ligne de texte.

mais ce qui nous apparaissait et s’imposait peu à peu concernait un autre écart, une autre altérité, celle de notre formation, La grande image se révélait : à l’intérieur d’une même génération, la nôtre, la génération de l’après-guerre, notre formation, celle des mathématiques, de la technique et des sciences nous avait imposé une autre vision du monde.

nous retrouvions là les mêmes remarques et les mêmes interrogations devant ces choix de mise en page et de typographie que devant ceux du petit livre. Nous avions alors été surpris : de la page 1 (*) à la page 2 (*) nous « passions », manifestement, d’une « forme » de langage à une autre.

Cette distance de quatre pages, nous l’avons réduite ci-dessus à deux lignes tout en « visualisant » la « forme » du paragraphe.

On ne pouvait que remarquer cette « création » typographique du « trop flou-vague-diffus-évanescent-con-fondu » : l’emploi de l’italique et du trait d’union créaient comme une fluidité de la ligne de texte.

La ponctuation française : Malgré les quatre pages de distance, le rapprochement ci-dessus (mise en parallèle, rapprochement-opposition (?)) s’imposait de lui-même. Une fois réalisé, apparaissaient les avantages et les inconvénients du « couple » (du rapport) oral/écrit.

« A l’oral, la voix monte, descend, observe des temps de pause, des arrêts,... Elle permet à elle-seule de moduler et de cadencer notre discours, de lui donner tout son sens, de mettre en avant certains mots, certaines phrases.

A l’écrit, toute cette richesse inhérente à la voix n’est plus. [...] » (*)

Blow-up : « Quelque chose » commençait à apparaitre, à prendre forme, mais, curieusement, comme à rebours, à contre-sens de cette apparition, nous nous demandions si cela, ce quelque chose pouvait être vu, être perçu par d'autres générations que la nôtre...

« [...] plongeant dans l'indifférentié, n'est de ce fait ni assignable ni non plus représentable, ne peut donc avoir la consistance d'un en-soi, se constituer d’« être » et, Gegenstand, se « tenir devant » - découpant ses arêtes – l’Œil ou l’Esprit ; [ce] dont nous faisons sans fin l’expérience nous reconduisant à l’indéfinition du foncier [...] ».

... et semblait d'abord « buter » sur ce « Gegenstand » ... avant de reprendre son cours...

« [...] l’indéfinition du foncier, mais que la science et la philosophie ont tôt de délaisser dans leur hâte à traiter logiquement les choses. Dans leur hâte à constituer un « ceci » manipulable par la pensée, en vue de répondre au : « Qu’est-ce que c’est ? ».

Quatre pages plus loin, sous le titre « Réseau et corpus », François Julien abandonnait l’italique pour cette courte phrase et petit paragraphe :

« Cet essai n'est qu'un chapitre, il est sans conclusion, mais fait nœud dans mon travail. »

La chaine et la trame : Cette idée – celle d’une grande image qu’on ne pouvait contraindre, limiter à une forme – nous intéressait. Elle était celle, exigeante, de l’œuvre d’art et du « pensée-signe-vie », celle d’une philosophie attachée au vivant, d’une pensée en mouvement...

Petits gestes : Cette « complicité avec celui à qui on s’adresse » nous semblait de plus en plus nécessaire. Nous voulions en revenir à notre petit livre, à des pensées qui - mathématiques ou non – nous avaient jusqu’ici semblé élémentaires. Ce qui nous inquiétait était le surgissement d’images nouvelles ; nous donnions (malgré nous ?) du sens à de petits gestes, à de petites choses : une nouvelle « sensibilité idéographique » se manifestait, prenait « forme » elle aussi.

Joël Bellassen, François Julien et François Cheng racontaient la même chose : les « Cultures-civilisations-langue-écritures » chinoise d’une part, « occidentale-grecque-romaine-française-anglo-saxonne » d’autre part, n’étaient pas opposées mais complémentaires. Nous avions remarqué cette majuscule que François Julien prêtait à (au ?) Gegenstand. Fallait-il y voir la marque de ce que François Cheng appelait une entité ? Pouvait-on (devait-on) relever la sonorité « stand » et rappeler son importance dans la plupart des langues occidentales ? Fallait-il y voir la marque de cette « manière chinoise » qui permettait à François Cheng de « vivre un grand nombre de mots français comme des idéogrammes » :

. Nous avions vérifié (*) : « Employés en fin de phrase [les points de suspension] sous-entendent une suite, une référence, une complicité avec celui à qui on s’adresse, un effet d’attente [...] ».

Joël Bellassen, François Julien et François Cheng racontaient la même chose : les « Cultures-civilisations-langue-écritures » chinoise d’une part, « occidentale-grecque-romaine-française-anglo-saxonne » d’autre part, n’étaient pas opposées mais complémentaires. Nous avions remarqué cette majuscule que François Julien prêtait à (au ?) Gegenstand. Fallait-il y voir la marque de ce que François Cheng appelait une entité ? Pouvait-on (devait-on) relever la sonorité « stand » et rappeler son importance dans la plupart des langues occidentales ? Fallait-il y voir la marque de cette « manière chinoise » qui permettait à François Cheng de « vivre un grand nombre de mots français comme des idéogrammes » :

Joël Bellassen, François Julien et François Cheng racontaient la même chose : les « Cultures-civilisations-langue-écritures » chinoise d’une part, « occidentale-grecque-romaine-française-anglo-saxonne » d’autre part, n’étaient pas opposées mais complémentaires. Nous avions remarqué cette majuscule que François Julien prêtait à (au ?) Gegenstand. Fallait-il y voir la marque de ce que François Cheng appelait une entité ? Pouvait-on (devait-on) relever la sonorité « stand » et rappeler son importance dans la plupart des langues occidentales ? Fallait-il y voir la marque de cette « manière chinoise » qui permettait à François Cheng de « vivre un grand nombre de mots français comme des idéogrammes » :

Cinématographie :

La main de Joël Bellassen se levait… se déplaçait de gauche à droite et… s’abattait à nouveau. Cette succession de découpes était manifestement celle des mots de l’écriture « occidentale ». Une fois découpés, les mots pouvaient « être » soustraits, abstraits de la ligne, être prélevés...

… « […] il y a une grammaire très forte, donc une nécessité d'abstraire...
des généralités... noms, verbes, adjectifs etc […] »…
(*) (9:30-9:41)
grammaire
… « […] il y a une grammaire très forte, donc une nécessité d'abstraire...
des généralités... noms, verbes, adjectifs etc […] »…
(*) (9:30-9:41)

Une ou deux petites secondes… (à situer autour de 9:37…) ce n’était pas long, mais, en accentuant du geste et de la voix la monosyllabe « air », cela suffisait à Joël Bellassen pour faire du mot « abstraire » ce que François Cheng appelait « une entité vivante ».

TIENS... La langue chinoise n'avait pas de verbe « ÊTRE »




Petits gestes :

vent
TIENS... La langue chinoise n'avait pas de verbe « ÊTRE »

François Julien nous présente une recherche « [tentée] à partir de la riche littérature critique que les lettrés chinois, sur près de deux millénaires, ont consacrée à la peinture. ». Cependant, en remplaçant ce mot par celui de « cadre » nous nous rassurons assez pour reprendre notre lecture et « plonger dans l’indifférencié, dans ce qui n’est pas assignable ni non plus représentable, ne peut donc avoir la consistance d’un ensoi, se contituer d’« être » et, Gegenstand, se « tenir devant » - découpant ses arêtes – l’Œil ou l’Esprit ; [ce] dont nous faisons sans fin l’expérience nous reconduisant à l’indéfinition du foncier, [...] »

Montagne(s)-eau(x) : "La grande image n'a pas de forme"...

SOURCE
La source, c’est bien phoniquement cet élément liquide qui sourd du sol et qui coule. Qui épouse toutes les aspérités du terrain en l’ourlant. Qui n’a de cesse de se murmurer sourdement et de se répondre en écho (-S, -CE).
NUAGE
Le nuage est un élément important dans l’imaginaire chinois, d’après lequel il constitue un chaînon dans le processus de transformation universelle. Le titre de notre recueil poétique Entre source et nuage signifie ceci : d’une façon générale, une source qui coule en sens unique symbolise le temps irréversible, penseurs et poètes n’oublient pas que l’eau de cette source s’évapore au fur à mesure ; montée vers les hauteurs, elle se transforme en nuage puis retombe en pluie pour ré-alimenter l’eau. Ainsi la « linéarité terrestre » est sans cesse rompue par un invisible cercle terre-ciel, qui incarne le vrai ordre de la vie. Pour faire sentir cette substance qu’est le nuage, à la fois terrestre et céleste, matérielle et aérienne, le mot français, avec sa prononciation pleine de nuances – un mot beau et proche – est plus qu’efficace. Ce son du début, -NU, qui, avec légèreté, s’amasse, puis s’élargit doucement et finit par s’évanouir dans l’espace. Par ailleurs, je sais gré à Mallarmé d’avoir, dans le poème « A l’accablante nue... », si magistralement combiné le double sens du mot « nue ». Faire fusionner le corps féminin et la nuée, les plaçant ainsi dans l’infini de la métamorphose, a de quoi toucher un esprit chinois, puisque de tout temps « nue » et « nuée » sont associés dans l’expression poétique chinoise. On y use de l’expression « nuage-pluie » pour désigner l’acte charnel.

De deux à trois : Entre le titre du livre et le nom de son auteur, une « création » idéographique :

vent

Les sciences du vivant :

vent

l'eau
laglace

Au pays des langages formels : Emanuele Banfi et Marie-Dominique Popelard consacraient un chapitre de leur livre à « voyager au pays de ces langages qui n'ont pas d'oralité, celui des langages formels, logiques, mathématiques, informatiques… ». Aucune des balises, aucun des « Markup » de l’Hyper Text Langage ne pouvait égaler la « vidéo », la copie du réel, cette « coïncidence » entre le geste de la main (fermée...) vers le haut et une sorte de geste vocal, une façon de prolonger la monosyllabe « air ».

Arrêtons-nous sur les derniers mots de leur livre (« se taire enfin ») et contemplons avec eux le tableau, l’œuvre du peintre chinois Zao Wou-Ki choisie en « ouverture ». La réalité, la matière de la pensée est là, sous nos yeux :

« […] des traits dont on hésite à affirmer qu'ils ne seraient que les craquelures exprimées d'une toile usée jusqu'à la corde. […] »

« […] seule l'épaisseur de couleurs flamboyantes qui aspergent le regard pourraient figurer des caractères sur ses dernières peintures. […] »

« […] Entre les deux périodes, Vent (1954) effectue à nos yeux la charnière : le vent emporte les caractères qui s'envolent avec leur signification. […] »

Nous avions le souvenir de « la main qui parle » (*), de cette atmosphère de contemplation-concentration où une géométrie se dessinait… N’est-ce pas une sorte de « canevas » de cette géométrie qui apparait dans cette « toile usée jusqu’à la corde » ? N’est-ce pas ce même canevas que les auteurs de « Peindre les idées » appellent « les deux sens du sens réconciliés » ?