Les écrans… Ils avaient pris et ils prenaient une place indéniable dans l’espace de vie et dans les « échanges » humains. Ils ne « créaient » évidemment pas un nouveau monde, mais ils « s’interposaient » peu à peu. Les humains, l’espèce humaine « se voyait », « se réfléchissait », « se parlait » à travers eux.

It's time

Le nombre en général :

Le temps long : Le conteur n’avançait pas vite. Le chercheur ne savait plus où « donner de la tête ». Le lecteur était ébloui, subjugué par tous ces textes prestigieux et souvent passionnants qui étaient à sa disposition. Ses deux dernières trouvailles lui avaient prouvé l’intérêt de ses recherches mais aussi l’abîme « réel » et insurmontable qu’elles rencontraient : le temps.

Face à son écran, il était l’ordonnateur, le donneur d’ordre. Cet ordre était celui des lettres, des touches de son clavier, et des symboles qui s’inscrivaient docilement les uns après les autres dans la fenêtre horizontale de son « moteur de recherches ». Ainsi, la suite d’appuis : « l,o,g,i,q,u,e,_,s,y,m,b,o,l,i,q,u,e » (sept lettres caractères, puis une espace puis dix lettres, dix autres lettres, caractères ou symboles), après l’avoir mené à Oxford, à Lewis Carroll et John Cook Wilson.. Son écran l’avait mis face à un autre problème, une autre « évolution » qu’il connaissait mais qu’il négligeait : l’influence de la société, de l’appartenance sociale sur « le savoir ». Une série de trois articles écrits par Alain Le Mignot sous le titre « Avant et après Boole, l’émergence de la logique moderne » l’avaient amené à ce passage :

Industrirs

C’était un autre « mouvement », un autre système, une autre mécanique qui s’enclenchait là. Notre conteur était un fervent admirateur de cette explosion de recherches, de science, et de créations « institutionnelles » qui avaient accompagnés la « Révolution française ». Associer à cette période la promotion d’une bourgeoisie industrieuse le déroutait. Il avait heureusement assez vite retrouvé ses marques, ses balises habituelles :

Algèbres

Un « Réseau des Algébristes Anglais », le nom, nouveau pour lui, d’un savant français : Sylvestre-François Lacroix… cet autre passage :

Algèbres

… il pouvait se remettre à sa recherche.

Happy day : Le hasard, l’imprévu… Son moteur de recherche ou plutôt le Web, la communauté humaine de la toile intervenant elle-même :

The brink

L’anniversaire du nombre π. Le 14 Mars 2018. La guerre franco-anglaise se perpétuait, mais elle se concentrait sur des marques ou des mark-up symboliques, sur des « façons d’être ». Ainsi la notation de la date « 14/3 » (14 Mars) à la française ne permettait pas de célébrer l’anniversaire du nombre π. L’expression anglaise « 3/14 » avait ce pouvoir. Elle permettait même d’associer à π l’image d’une tarte « à l’anglaise » qu’il ne restait plus qu’à décorer et partager.

Cette inversion premier signe - second signe (14/3 – 3/14) renvoyait notre conteur à ses recherches précédentes et d’abord à celles sur « Le regard et la lecture ». Peut-être un jour pourrait-il consulter un article où auraient étés enregistrés et différenciés les mouvements des globes oculaires spécifiques à la lecture de la date. Peut-être y vérifierait-t-il que les lecteurs anglais lisant une date s’intéressaient avant tout autre chose au mois et à la saison. L’image ou la légende de l’art de leur conversation, de leur goût pour les considérations météorologiques quotidiennes serait ainsi précisé. <:p>

Syntagme et antonymie : Ce 3/14 « à l’anglaise » le ramenait curieusement au point de départ de son voyage et de ses réflexions, à ce 205.1 de la petite pancarte, à ce Valmy-1792 et Verdun-Ville de la paix qui avaient constitués ses premières interrogations, ses premiers « markups ». Chacun d’eux avait la forme « premier signe-second signe », c'est-à-dire la forme minimale de toute lecture, de toute suite ordonnée de signes, la forme minimale de tout « syntagme ».

Ces remarques auraient pu rester bien banales, de peu d’importance, sans ce passage du langage et de la logique mathématiques à un niveau linguistique que lui avaient offert les écrits de Daniel Lacombe. Le choc, la révélation étaient venus de ce « pouvoir antonyme » des guillemets. Les premières définitions de l’antonymie étaient simples, elles opposaient l’antonymie à la synonymie. L’article de Pascal Amsili sur l’antonymie lui avait proposé un autre niveau de considérations, celui de la linguistique.

« Pour bien reconnaitre un mot, la meilleure tactique consiste à le fixer un peu à gauche de son centre, l’information principale portée par les lettres étant souvent en tête du mot, dans sa racine. ».

Le rapprochement de ces deux mots « fixe » et « racine » était une remarque essentielle pour ses recherches de « densité » et de « potentiel » et il se promettait d’y revenir, mais cette reconnaissance d’un mot en une seule fixation permettait aussi de mieux comprendre la thèse des auteurs, thèse qu’il pensait bien résumée par cette dernière note :

« La meilleure stratégie globale incite l’œil à progresser d’un mot au suivant en faisant le pari de la visée optimale la plus fréquente (centre gauche) car c’est en moyenne la plus économique. Mais parfois elle est prise en défaut. Le cerveau doit alors intervenir par un ensemble de tactiques locales pour récupérer le sens, en réajustant la visée par des fixations supplémentaires et même des régressions. »

La naissance du sens : Pour notre conteur, cette histoire, celle d’un premier signe, avait commencé par un hasard, un conseil amical lui signalant l’existence et l’intérêt d’un auteur, Boris Cyrulnik et d’un petit livre. Son titre : « La naissance du sens » l’avait intrigué. Ce qu’il y avait lu et appris était à l’origine de toute une remise en cause de beaucoup de ses certitudes d’alors. Boris Cyrulnik y expliquait pourquoi « le pointer du doigt » différenciait définitivement l’homme de l’animal tout en marquant « l’accès de l’enfant au langage ». Pour notre conteur et jusqu’à cette lecture, le pointer du doigt était un geste simple. Il indiquait un sens et une direction. Cette direction était celle d’une droite et ce sens était celui d’un des deux sens de parcours de cette droite. Ces savoirs étaient ceux des mathématiques, ceux de cette construction, de ce « modèle » qu’était la droite réelle. Ces savoirs permettaient de donner à chaque mot ou plus précisément au nom d’un « objet » (de ce qu’on regardait, que l’on « considérait » comme un objet) ce que Daniel Lacombe appelait sa « signification mathématique ». Pour notre conteur, la supériorité du langage mathématique provenait de cet effort sur le langage commun, un nom désignait un objet mathématique unique car bien déterminé.

Ce qu’il venait de marquer de balises « strong » était un nouvel emprunt, un extrait de son « Cours de logique élémentaire ». Daniel Lacombe y précisait qu’il s’exprimait là « Le « point de vue « classique » […] (par opposition au « point de vue intuitionniste », le seul autre connu qui soit cohérent […]) ». Qu’on puisse avoir deux points de vue différents sur la logique mathématique avait provoqué au début du vingtième siècle, la seule et unique « crise » de l’histoire des mathématiques. Pour un mathématicien (ce que notre conteur s’efforçait d’être), il s’agissait là, déjà, d’une histoire ancienne. Mais, pourtant, avec Boris Cyrulnik, il découvrait un autre point de vue, cohérent lui aussi et ouvrant sur d’autres formes logiques et d’autres langages. Pour l’éthologue Boris Cyrulnik, l’humain était une espèce animale parmi d’autres. Il en étudiait les « comportements ». De ce point de vue, évidemment, l’existence d’autres logiques, d’autres langages et d’autres grammaires « naturelles » étaient à considérer.

Les enfants, les petits humains qu’observait et que filmait Boris Cyrulnik étaient âgés d’environ douze mois. Douze mois pendant lesquels ils avaient découvert et testé leurs « sens », expérimenté et accumulé les essais, les réussites et les erreurs. La « lecture » du monde extérieur qu’ils accomplissaient, nécessitait de relier tous ces sens, toute cette expérimentation, par une prise en main des objets, puis par tout un ensemble de manipulations dont la prise en bouche, la dégustation n’était pas la moins importante. Ce que révélaient les observations de la « naissance du sens », c’est qu’à douze mois le cerveau de l’enfant était assez exercé et développé pour créer un nouveau geste de la main, où le pouce se repliait en « oubliant » la pince qu’il refermait habituellement sur l’index. L’index se tendait, prolongeant la main et le bras et indiquant une direction, celle d’un objet « convoité ». Mais l’enfant accompagnait ce geste d’un regard dans une autre direction, vers une personne, sa personne « de référence » et surtout d’un appel, d’une tentative d’appel, un essai d’articulation d’une sonorité particulière, une création, celle que Boris Cyrulnik appelait un « proto-mot ».

Cette scène et sa description en précédaient une autre, où l’utilisation d’un simple gobelet différenciait deux petites filles, l’une « familiarisée », l’autre « sauvage ». Là aussi, les gestes étaient un langage, faisaient « signe ». Notre conteur allait devoir apprendre à relier et à différencier quatre plans logiques celui du symbole, celui de l’outil, celui du groupe et enfin celui de la personne, ce qu’on résumait généralement par la théorie de la « médiation ».

Contrariétés :

L'alerte - Sens et non-sens :Ces découvertes, celle de la « naissance du sens » et de l’importance de la « médiation » dans les apprentissages avaient marqué le début d’un long et lent processus de remise en cause ou de remise en ordre de tout ce qu’il pensait jusque là être des savoirs et des certitudes. Une découverte récente lui semblait marquer une clôture au moins provisoire de ce processus. Il avait eu la curiosité de rechercher dans les vidéos que proposait l’un des sites se réclamant de la LSF (Langue des Signes Française) quel assemblage de signes pouvait prendre la signification d’une alerte. La référence qu’il avait trouvée n’était pas celle d’un nom mais d’un verbe : « alerter ».

Beaucoup de groupes, de communautés de différentes espèces animales avaient su créer puis instituer le système économique que constituait l’alerte. Tout un groupe pouvait se reposer, se restaurer, reprendre des forces pendant qu’un seul d’entre eux veillait, c’est à dire concentrait son attention, celle de ses sens, de ceux qui permettaient de « prévenir », voir, sentir ou entendre venir d’assez loin et se rapprocher un danger quelconque. Souvent, l’alerte était sonore, un simple appel, un cri bref suffisait, à condition qu’il tranche, qu’il s’oppose aux bruits ambiants, familiers, ceux qui accompagnaient le repos du groupe. C’est cette opposition qui intéressait notre conteur. C’est grâce à elle qu’il voulait différencier deux formes d’opposition, celle du sens et du non-sens de l’autre, plus habituelle et plus facilement perçue de deux sens contraires.

Cette scène et sa description en précédaient une autre, où l’utilisation d’un simple gobelet différenciait deux petites filles, l’une « familiarisée », l’autre « sauvage ». Là aussi, les gestes étaient un langage, faisaient « signe ». Notre conteur allait devoir apprendre à relier et à différencier quatre plans logiques celui du symbole, celui de l’outil, celui du groupe et enfin celui de la personne, ce qu’on résumait généralement par la théorie de la « médiation ».

Notre conteur avait eu l’occasion d’assister à une « prise en main » de la grammaire « naturelle » de l’HTML par des enfants de classe maternelle que l’on plaçait devant un écran numérique et à qui on confiait la gestion de la souris et donc des mouvements du pointeur. Il n’avait pu que constater avec quelle facilité et avec quel « naturel » ils contrôlaient la logique de cet outil qu’on mettait tout à coup à leur disposition. Un enfant, à cet âge, ignorait encore beaucoup de choses et en particulier, il n’avait aucune idée des difficultés qu’il rencontrerait dans son apprentissage de la lecture (celle d’un texte). Pour un enfant de cet âge, le langage n’était que mimiques, gestes, mouvements, touchers, sonorités, senteurs et paroles. La prise en main de la souris n’était que l’une de ses découvertes, un de ses apprentissages, l’une de ses interventions. Prise en main ou prise de parole, il s’affirmait peu à peu, prenait sa place dans sa vie et dans celle de son entourage.

Notre conteur était persuadé que c’était ce « survol » de l’écran par le pointeur (« survoler », « planer » était quelques-unes des traductions du mot « hover » qu’employait l’HTML) qui résumait la magie, la part d’enfance qu’offrait le Web, la toile, et toute cette grammaire du tout numérique.

Notre conteur avait eu l’occasion de vérifier avec quelle aisance, avec quel « naturel » les élèves de classes de maternelles assemblaient les signes proposés sur un écran numérique grâce à la « prise en main » que leur procurait l’utilisation d’une souris. Il s’amusait à imaginer de sourds conflits entre les parts d’enfance et de volonté adulte dans cette facilité de « survol » d’une page HTML. La citation qu’il venait de placer entre deux balises « blockquote » provenait d’une recherche sur « Le regard et la lecture ». Les chercheurs Ariane Levy-Schoen et J. Kevin O’Regan proposaient alors (en 1989) de résumer leur théorie par le titre « stratégie et tactiques ». Notre conteur était persuadé qu’avant les subtiles décisions de modulation de sa lecture, chaque utilisateur, enfant ou adulte, d’une page HTML utilisait une stratégie très personnelle et très variable, suivant le plaisir (espéré) ou la difficulté (attendue) de la lecture proposée. Il aurait aimé mesurer quelles « stratégie ou tactiques » adoptait un lecteur de la page « Petite histoire » que proposait « L’histoire de la ponctuation française »

Background : Il était persuadé que le premier signe reçu et perçu à l’ouverture de cette page était la sévérité. Elle était composée d’un strict empilement d’une dizaine de paragraphes, dont beaucoup étaient d’une longueur (la dizaine de lignes) respectable. A l’intérieur de ces paragraphes, aucun des signes habituels (guillemets, parenthèses, tirets, italique etc.) ne semblait proposer la moindre distraction. En conclusion, le dernier paragraphe, les dernières lignes (et les deux derniers caractères typographiques) semblaient comme une annonce, l’amorce d’un espoir d’échappées à cette sévérité et ainsi proposer comme une récompense au lecteur courageux et consciencieux :

« Aujourd'hui, la ponctuation, réglementée, encadrée par les différents traités de grammaire agréés, ne lèse plus personne, sinon quelques étudiants réfractaires. Elle est évolutive et permet aussi quelques transgressions, au nom de l'art et de la libre expression. Enjolivée par les pictogrammes d'Internet et les nouvelles significations qu'on lui présume via les moyens de communication actuels (e-mail, chat, langage sms, etc.), la ponctuation est toujours dans le coup, malgré tous les maux de tête qu'elle peut causer, notamment dans les dictées de monsieur Pivot ;).»

Le HTML distinguait les balises « inline » des balises « block ».





« Signe premier », « signe primordial », « signe primitif ». L’assemblage prenait sens et c’était alors un autre mot, un autre signe qu’il fallait examiner, mettre à part, isoler des autres mots. Le mot « sens » faisait signe.

L’intérieur d’un organisme vivant. Logiquement encore, s’il y avait un intérieur, c’était aussi parce qu’il y avait un extérieur et « quelque chose » qui les séparait, qui permettait de distinguer ces deux mondes, l’interne et l’externe.

Le monde externe, lui aussi était vivant ou, au moins pouvait accueillir, supporter l’organisme vivant : il s’y « passait » des choses. Ces « choses » se transformaient, changeaient « au fil du temps » comme on disait. L’histoire de la logique avait choisi un mot pour raconter cela, celui de variable. Mais, en bonne logique, ce mot avait son contraire, ce qui n’était pas variable : une « chose » constante.

La logique était quelque chose de très simple et même de simpliste, de rudimentaire. Elle s’appuyait sur une forme grammaticale facile, rudimentaire ou primordiale elle aussi : un choix entre une affirmation et sa négation. La encore, la forme grammaticale créait une frontière, elle séparait deux mondes, mais deux mondes « à-venir », cela dépendait du choix. « Etre ou ne pas être », rester vivant ou ne plus l’être. C’était ça l’alerte. Il fallait choisir. Et peut-être choisir vite. Le bon choix était serait celui où la vie pourrait continuer. C’était là où commençait l’histoire de la logique élémentaire, l’histoire du vivant.



loïc malnati