Les choses : L’œuvre de François Jullien était impressionnante, intimidante. De lecture en lecture, nous avions pu constituer quelques points de repère. Le plus important pour nous (« rassurant » et libérateur, un rebond pour notre recherche) se situait dans les premières pages d’un livre-dialogue : « Entretiens d’extrême occident, Penser d’un dehors (la Chine) ». Cet « entre deux » se présentait sous le titre « La première leçon de Chinois » avec en sous titres : « En bordure de l’ordinaire – Qu’est-ce que c’est que cet est-ouest ? – Chose ou relation ? – Qu'est-ce qu'un pli de la pensée ? » ...
... « en attente de son concept ou ce qui est en panne de concept »...
Le dispositif : Devant nous un livre, un titre : « La propension des choses ». Un sous-titre : « Pour une histoire de l’efficacité en Chine ». Le souffle médian (*), le souffle de l'entre deux était là. François Jullien, à sa façon, nous l’indiquait, nous proposait de voir, de redécouvrir l'inouï de la parole (*) (de notre parole ?) à travers le dispositif (au cœur du... ? dans... ?) ... En première page, en « Introduction », en première(s) ligne(s) :
En bas de page cette question ...
... suivie de cette dernière ligne et du « bas de page » qu'elle annonçait :
... et, en tournant cette page :
Pour Chine.in :
势 --» puissance / influence / pouvoir / tendance / configuration / situation / apparence /
geste / attitude
時 --» temps / heure / souvent / actuel / courant / occasion
... le souffle, l’énergie, la force... le potentiel, l'occasion, le moment... : le shi...
La naissance du sens : D’une lecture à l’autre, « quelque chose », peu à peu, bougeait, évoluait et nous pouvions vérifier que telle ou telle formule ou formulation nous était devenue sensible (compréhensible). Sur ce simple mot « sens », nous pouvions à présent « apprécier » ces changements, cette redécouverte, cet inouï de la (de notre) sensibilité.
Ce mot de « sens » nous renvoyait à une rencontre, celle de Boris Cyrulnik et de son livre « La naissance du sens ». L’image du pointer du doigt (Le premier mot *) et du regard de l’enfant familiarisée (Ontogénèse du gobelet *) étaient alors devenues, pour nous, des références essentielles.
Plier, déplier : François Jullien d’un côté, Boris Cyrulnik de l’autre, deux pensées, deux dispositifs, deux mises en relation... ou... un objet, une relation : le pli.
Pour François Jullien, deux « paris », deux hypothèses :
— que ce mot, ce « shi », « [...] ce terme [que] les dictionnaires rendent aussi bien par « position » ou « circonstances » que par « pouvoir » ou « potentiel » » soit un mot possible.
— que ce mot soit un révélateur de la pensée chinoise.
Fidèle à sa méthode, François Jullien parcourait trois champs :
La difficulté de ces observations était de porter « sur un fond d’entente d’autant plus solide [qu’il] n'a pas besoin , à l’intérieur de [la pensée chinoise], d’être commenté [...] »... ou une autre forme, une nouvelle complexité du plier – déplier...
Pour Boris Cyrulnik, le révélateur s’observait par le geste (le pointer du doigt – Shi shenme dongxi) et le regard (l’enfant familiarisée et l’enfant sauvage)...
Pour nous...
Philosophie première : La scène se lisait facilement, immédiatement : une rizière, un village, une activité paisible :
Le chant des oiseaux... soudain, un changement de cadre, d’ambiance, un bruit sourd... un martellement... et aussi peut-être « quelque chose »... la posture, le regard de ces deux hommes...
... la hauteur du regard... les montagnes apparaissant derrière eux, en contraste... peut-être... Leur visage disparaissait très vite. Nous avons tenté une « saisie » de la fraction de seconde suivante...
Surprenant... cette marche difficile et pourtant immobile, cette charge – inexistante – des épaules, on pensait à Sisyphe, un – deux – Sisyphe, sans rocher, tournant le dos à la montagne... contemplant...
La caméra, le cadre basculait...
L’eau, la terre : de l’une à l’autre. La force sourde de la terre, la force vive, la puissance de l’eau. L’eau, la vie. L'eau comme une présence, un rappel constant à la règle de toute vie... La charge était là... comme transmise au cylindre, reportée sur la « chose-cylindre »... le cylindre couché du petit livre...
Les mouvements de la caméra, vers le bas, vers le sol puis, face au sol... en rotation...
... tout en amorçant un mouvement de droite à gauche, comme dirigeant, redirigeant l'eau...
Un mouvement sonore aussi, le chant des oiseaux interrompu par ce martellement paradoxal d'une marche sur l'eau se reconstituait peu à peu... le bruit de l'eau, l'eau maitrisée, l'eau apaisée...
... un mouvement, suivi et souligné (accentué ?) par celui de la caméra et (en contre point ?) par la bande son. Le mouvement et le bruit (le chant ?) de l'eau maîtrisée, redirigée, incitaient à tourner le regard (Shi shenme dongxi ?) vers la gauche (en arrière ?)...
Arrêt sur image : Le shi, la puissance de l'eau... la métaphore « partie prenante » de la signification... (*), le lecteur-spectateur de ce film ne pouvait avoir oublié... quelques minutes auparavant...
Calligraphie, photographie, chorégraphie, cinématographie... La silhouette noire et trébuchante, entrevue ci-dessus se plongeant, se couchant, s'abandonnant à l’eau calme (à son pouvoir ?) était celle du « Maître d’armes ». A la mise en scène de sa jeunesse, de ses combats et de ses victoires, avait succédé celle de sa déchéance : dévoyé par l’obsession du combat et de la victoire, il n’avait pas su protéger sa mère et sa fille. Le cinéma, la cinématographie offrait sa puissance multi-médiatique aux auteurs et aux acteurs du film : le passage de la gloire au désespoir était marqué par des contrastes lumineux : cette mise en marche (séquence de gauche)...
... était aussi l'entrée dans un monde incertain. La lumière « ouvrait » et marquait un court instant « la voie » mais cette voie était celle de l'éloignement, de l'exil (le bateau, comme un sombre rideau refermant l'écran). La métaphore de l'eau s'installait... et avec elle la perte des repères et des appuis de la vie terrestre. Le seul bien emporté (à peine discernable dans la main gauche du marcheur), la seule lumière, était celle du souvenir (séquence de droite), de l'échange de regards et de bonheurs, aussitôt remplacés par la noirceur, l'approche des ténèbres... La séquence suivante...
... utilisait les mêmes ressources, mais le mouvement de la caméra s'arrétait, s'interrompait sur les pieds blessés du marcheur. Le voyage s'achevait. La métaphore de l'eau et de son mouvement basculait dans les ténèbres et la verticale, la chute, la pluie et le froid...
Champ-contrechamp : Ces scènes préparaient, annonçaient l’obscurité des séquences précédant sa plongée dans la mort. Au terme de son voyage, après une dernière mise en lumière... son abandon au calme et à la noirceur de l’eau. Les effets de champ/contrechamp de cette plongée étaient remarquables :
A gauche, un premier « point de vue » : l’axe de prise de vue choisi établissait la plongée, la descente dans les profondeurs et leurs ténèbres. L’image basculait, la caméra s’installait dans une « contre-plongée » et cadrait le seul regard du désespéré... qui semblait alors « s'éclairer », « s’ouvrir » sur le visage de sa fille et sur un autre mouvement complexe ou contradictoire... celui de la balançoire : l’approche et l’éloignement en alternance mais le regard de sa fille, l’assurance rassurante de son affection et de ce bonheur enfantin. A ces quelques secondes « mouvantes » et heureuses succédaient le souriant visage et l’attitude calme et familière de sa mère...
La métaphore comme « partie prenante » de la signification... En installant le vis à vis gauche/droite ci-dessus, nous avons tenté de mettre en valeur et en évidence les dernières secondes de la séquence de gauche, la prise de vue en contre-plongée du regard, le sentiment d’un approfondissement de la conscience, d’une inscription définitive, d’une acquisition primordiale... aussitôt remplacée et inversée (séquence de droite)...
Le point de vue était le même (le visage, en contre-plongée, du désespéré) mais c'était un « éloignement » qui s'installait, les mains se tendaient, appelaient un retour... la plongée s'inversait, la main, la réponse était comme éloignée... un dernier geste... la mise en scène était celle d'un arrachement à la noirceur des profondeurs... un dernier renversement s'opérait... l’image se brouillait mais s’éclairait... des visages se devinaient puis se précisaient... prennaient place. Ce remplacement... installait deux autres regards... un autre vis à vis, deux personnages...
François Jullien nous avait initié à ces recherches « en vis à vis ». « La Chaîne et la trame » décrivaient les effets des deux axes du « texte », du wen chinois (*). A l'évidence, les axes de prise de vue et les mouvements de caméra permettaient de renouveler ces effets... Les deux séquences en vis à vis ci-dessus s'opposaient par un même mouvement (traveling de gauche à droite) contredit, contrarié par des passages de la lumière (début de la séquence de gauche) à l'obscurité (et au froid...). Cette séquence (et les suivantes) ouvrait (s'ouvraient à), imposaient peu à peu le personnage de la jeune aveugle... qui, elle aussi, allait échapper à l'obscurité et au mutisme...
S'imposait aussi l'importance du dispositif. Le personnage de la jeune aveugle permettait de mettre en valeur de petits gestes familiers... si familiers...
L'image, la photographie ci-dessous racontait sa résurrection...
Cette image enfin... ce regard là encore... là aussi.
La jeune femme était aveugle. La puissance et l’importance de ce personnage s’affirmaient, s’établissaient à chaque nouvelle séquence. Cette création était celle d’un « vis à vis », d’un pôle contraire à celui du « Maitre d’armes ». Nous pouvions véritablement toucher, ressentir une (de la) pensée « à l’œuvre » (*), perçue de l’intérieur...
« [...] comme « réflexion au travail, à partir d’un ancrage particulier et dans le cadre d’un cheminement singulier. [...] »
Champ-contrechamp : Le cinéma, la cinématographie offrait sa puissance multi-médiatique aux auteurs et aux acteurs du film : la déchéance du « Maitre d’armes » (dévoyé par l’obsession du combat et de la victoire, il n’avait pas su protéger sa mère et sa fille...) se marquait par l’obscurité des séquences précédant sa plongée dans la mort, son abandon au calme et à la noirceur de l’eau. Les effets de champ/contrechamp de cette plongée étaient remarquables :
A gauche, un premier « point de vue » : l’axe de prise de vue choisi établissait la plongée, la descente dans les profondeurs et leurs ténèbres. L’image basculait, la caméra s’installait dans une « contre-plongée » et cadrait le seul regard du désespéré... qui semblait alors « s'éclairer », « s’ouvrir » sur le visage de sa fille et sur un autre mouvement complexe ou contradictoire... celui de la balançoire : l’approche et l’éloignement en alternance mais le regard de sa fille, l’assurance rassurante de son affection et de ce bonheur enfantin. A ces quelques secondes « mouvantes » et heureuses succédaient le souriant visage et l’attitude calme et familière de sa mère...
La métaphore comme « partie prenante » de la signification... En installant le vis à vis gauche/droite ci-dessus, nous avons tenté de mettre en valeur et en évidence les dernières secondes de la séquence de gauche, la prise de vue en contre-plongée du regard, le sentiment d’un approfondissement de la conscience, d’une inscription définitive, d’une acquisition primordiale... aussitôt remplacée et inversée (séquence de droite)...
Le point de vue était le même (le visage, en contre-plongée, du désespéré) mais c'était un « éloignement » qui s'installait, les mains se tendaient, appelaient un retour... la plongée s'inversait, la main, la réponse était comme éloignée... un dernier geste... la mise en scène était celle d'un arrachement à la noirceur des profondeurs... un dernier renversement s'opérait... l’image se brouillait mais s’éclairait... des visages se devinaient puis se précisaient... prennaient place. Ce remplacement... installait deux autres regards... un autre vis à vis, deux personnages...
François Jullien nous avait initié à ces recherches « en vis à vis ». « La Chaîne et la trame » décrivaient les effets des deux axes du « texte », du wen chinois (*). A l'évidence, les axes de prise de vue et les mouvements de caméra permettaient de renouveler ces effets... Les deux séquences en vis à vis ci-dessus s'opposaient par un même mouvement (traveling de gauche à droite) contredit, contrarié par des passages de la lumière (début de la séquence de gauche) à l'obscurité (et au froid...). Cette séquence (et les suivantes) ouvrait (s'ouvraient à), imposaient peu à peu le personnage de la jeune aveugle... qui, elle aussi, allait échapper à l'obscurité et au mutisme...
S'imposait aussi l'importance du dispositif. Le personnage de la jeune aveugle permettait de mettre en valeur de petits gestes familiers... si familiers...
De l'image à la pensée : Nous étions arrivés au moment le plus passionnant – et le plus hasardeux – de notre travail, à cette conclusion-hypothèse du « Point de vue » de Joël Bellassen, celle d’un caractère-image globale, d’une écriture et d’une pensée globalisante (*).