Image et imaginaire : Notre petit livre de mathématiques ne comporte qu’une seule date : 1988. En 2018, à partir de l’expression « écoliers chinois », notre moteur de recherche nous propose des articles sur la réussite des écoliers asiatiques. Comme pour toute recherche, on peut y choisir la réponse « images ». C’est alors tout un imaginaire qui s'offre à nous. De cette multitude, l'image ci-dessous nous a vite semblé, d'elle même, s'imposer :
Cette photo a été prise dans une école de Shanghai le 27 Septembre 2017 (afp.com/Chandan KHANNA). Elle accompagne un article paru le 28 Novembre 2017 (capital.fr/economie-politique/) sur la réussite des écoliers de cette ville et résume bien tous les paradoxes de la chine actuelle. Nous y retrouvons le sérieux et le foulard des écolièrs de la couverture du petit livre. Les perspectives et les graphiques du « grand bond » sont devenus des réalités, un arrière-plan, un décor.
D’autres recherches sur le Web nous indiquent que ce n’est qu’à partir de 1990 que furent enregistrées ces « avancées » et nous fournissent quelques précisions sur les grandeurs en jeu :
« La population de la municipalité de Shanghai est de 23 019 148 habitants (recensement 2010, 13,342 millions en 1990 et 16,738 millions en 2000) […]. Il y aurait actuellement 5 000 tours, dont 120 gratte-ciels de plus chaque année, et 20 000 chantiers permanents […] Le Shanghai World Financial Center, en est l'exemple le plus éclatant, avec ses 492 mètres de hauteur » […] Shanghai est également un centre important de raffineries de pétrole. La plus grande aciérie de Chine, et l'une des plus modernes se situe à Baoshan en bord de mer. La ville est donc sujette à une pollution importante sous la forme de nuages de fumée de soufre que les usines émettent en permanence. Environ quatre millions de tonnes d'eaux usées industrielles et domestiques non filtrée sont versées quotidiennement dans la rivière Huangpu, la principale source d'eau potable de la ville […] ».
Idéographie ; Il faut du temps, beaucoup de temps, du temps scolaire ou du temps libre, c’est-à-dire un temps dégagé des nécessités de la vie quotidienne, temps que l’on peut alors consacrer à l’étude des idéogrammes chinois. Sans aucune prétention, nous vous présentons ici nos premières rencontres ou découvertes et notre lecture de quelques idéogrammes. Commençons par celui de « l’arbre » :
« 木 » est l’un des 214 radicaux chinois. Il apparait et nous le retrouverons comme l’un des composants, l’une des « clés » d’autres idéogrammes. Pour Chine.in :
木 --» bois / arbre / cercueil / engourdi / insensible
Le premier trait, horizontal, tracé de gauche à droite, représente la terre. Il la pose comme un principe, une évidence première, incontournable, nécessaire à toute vie et à toute expression. C’est aussi un repère à partir duquel d’autres objets, d’autres « êtres » et d’autres idées peuvent, au sens fort de ce mot, être conçus ou concevables.
Le second trait, vertical, pose, plante « un objet » dans le sol, dans la terre. Nous le lisons comme un végétal qui s’implante ou qu’on implante. Les deux traits suivants consacrent sa survie, sa permanence : ce sont ses racines qui s’étendent et c’est alors un arbre qui, en assurant son équilibre et sa verticalité s’affirme peu à peu. Sa partie émergée, le tronc « s’exprime » et, avec lui, une idée, un concept s’impose à son tour : l’idée de l’arbre devient celle du bois, de la solidité, de la permanence et même de l’indifférence au temps et à ses aléas. L’idéogramme pourra aussi symboliser l’engourdissement et même l’insensibilité.
Les jeunes pousses : Cette première rencontre fut suivie d’une autre. Parmi les titres du sommaire :
一 圆柱和圆锥 1. 圆柱的表面积 2. 圆柱的体积 3. 圆锥的体积
… il était assez facile de reconnaitre notre arbre «木 » comme composant du caractère « 柱 » et tout aussi facile de remarquer sa ressemblance avec le graphisme «禾 » présent dans les caractères «和 » et « 积 ».
Le site Chine information nous précisa que « 禾 » se traduisait par « jeune pousse de céréale », ce qui nous renvoyait à l’imaginaire ci-dessus, celui de la jeune écolière de Shanghai dessinant et assurant son équilibre au milieu des tours de cette mégapole.
Cette rencontre, ce heurt entre notre lecture de l’arbre, de sa solidité, de la symbolique de son enracinement d’une part et, d’autre part, cette jeune pousse, l’opposition entre sa fragilité et sa détermination évidentes nous apparut comme un encouragement. A ce moment de notre recherche, il n’était pas superflu : l’abord de l’aimable capharnaüm des caractères chinois est aussi fascinant que décourageant.
Bienveillance : La photo de la jeune écolière et l'imaginaire qui accompagnait l'idéogramme « 禾 » de la « jeune pousse de céréale » se révélèrent en effet peu à peu comme un guide pour notre recherche. La photo de l’écolière accompagnait un article qui décrivait la vie, l’environnement et le comportement des élèves :
« […] « Je m'occupe de jeunes enfants. Ce dont ils ont le plus besoin de notre part, c'est de tendresse » explique Shen Yi, professeur de mathématiques depuis 26 ans […] Après avoir donné un exercice de statistiques à ses élèves, elle passe entre les tables. Elle leur tapote parfois la tête avec affection et les encourage systématiquement : « Ton graphique est vraiment très bien tracé », complimente-t-elle un élève. […] En cours, les écoliers se tiennent droits comme des "i" et ne parlent que lorsqu'on les interroge. ».
Ces évocations, cette discipline des écoliers chinois et cette bienveillance de l’encadrement nous imposait un changement de décor. Cette autre photo du même article s’imposa alors : elle nous permettait de rendre compte de l’aspect « collectif » de cet enseignement et de cette société :
Mimiques : La taille des batiments en arrière plan nous intéressait. Elle était moins impressionnante que celle des tours environnantes et elle éveillait le souvenir d’une autre image entrevue peu avant, la couverture d’un livre de mathématiques de l’école élémentaire :
Cette scène montrait des écoliers souriants et évoquait ainsi l’atmosphère d’affection bienveillante exprimée dans l’article. Elle apparaissait comme une version « moderne », modernisée, une sorte de « mise à jour » de la couverture du petit livre. Le décor n’etait pas celui d’une mégapole comme Shanghai, le batiment, l’aire de jeu offraient un espace à des activités individuelles et plaisantes. Mais ce qui avait retenu notre attention était la permanence des « objets » étudiés : ceux du premier chapitre du petit livre, le cylindre et le cône.
Le professeur mis en avant par l’article de 2017 enseignait les mathématiques, surveillait et encourageait ses élèves devant leur exercice de statistiques (réalisation d’un graphique). Si on remarque enfin que l’article est diffusé à l’adresse « Capital.fr », on se convainc facilement que les sourires affichés en page de couverture n’annoncent pas un changement du « sérieux » des études et des objets d’étude. Notons enfin que les deux pages de couverture, celle du petit livre de 1988 comme celle-ci-dessus (2005), s’adressent à des élèves du dernier et douzième semestre des six ans d’école primaire, le semestre de printemps.
Précipitations : La « présence » des statistiques dans cet article nous renvoyait à la place qu’elles prenaient dans le petit livre où elles occupaient non seulement la page de couverture, mais apparaissaient dès la page 14 :
« 二 简单的统计表和统计图 (Statistiques et graphiques simples) ».
A partir de là, sous le titre « 1. 统计表 (tableau statistique) », les nombres constants (en chiffres « arabo-indiens ») étaient sagement rangés dans des tableaux, préparatifs du second sous-chapitre :
« 2. 统计图 (représentations graphiques de données statistiques) ».
A la page 22, le premier de ces diagrammes :
… imageait le « 统计表 (tableau statistique) » ci-dessous :
Il s’agissait de précipitations (降水), de quantités mesurées de pluie (降水量), en un certain endroit (某地), montrées comme suit (如下表). La hauteur des précipitations, mesurées en millimètres (毫米) se traduisait sur le diagramme « en bâton » où on utilise (用) une bande droite de 0.8 centimètres (0.8厘米长的直条) pour montrer (表示) 200 millimètres (毫米). Notre remarque d’une mise en vis-à-vis, d’une juxtaposition-opposition d’une surface de terrain (surface de base) et d’une grandeur verticale (hauteur) ne pouvait trouver de meilleure illustration.
Le cylindre et le bâton : Les photos ci-dessus proviennent du Web. On comprend l’intérêt que le personnage statufié porte au bâton qu’il examine, si l’on sait que l’objet disposé à côté de lui est un pluviomètre. On peut alors imaginer pourquoi un autre bâton figure sur la photo de droite, à côté de l’instrument exposé.
La statue est celle de Jan Yeong-sil, un célèbre inventeur coréen. Nous apprenons qu’il a passé un an en Chine en 1420 (pour parfaire ses connaissances) et, qu’ensuite, il a amélioré les horloges à eau (invention chinoise), travaillé sur les cadrans solaires, développé l’usage du pluviomètre et le stockage de l’eau en prévision des périodes de sècheresse.
Nous avons alors vérifié que « 雨 » signifie « pluie ou (selon l’intonation) pleuvoir / tomber (pluie, neige, etc.) / mouiller » et que le caractère « 測 » se traduit par « mesurer / sonder / prévoir / prédire » mais, déjà, la nécessité d’autres ambitions, d’aller au-delà de ces simples « traductions » (un « mot-français » proposé pour un « mot-caractère ») nous apparaissait nécessaire.
Le pilier / poteau / colonne : Pour « Google traduction » : 柱 --» colonne
Pour Chine.in : 柱 --» pilier / poteau / colonne.
Nous reconnaissons mieux à présent le radical de l’arbre :
木 --» bois / arbre / cercueil / engourdi / insensible
... et nous apprenons que :
主 --» hôte / propriétaire / patron / Dieu / Seigneur / diriger / présider / être pour / principal / essentiel :
... et qu'enfin :
王 --» roi / prince / (nom de famille) / régner sur
Le domaine et le droit : Il nous faut maintenant nous efforcer de transgresser ou au moins bousculer nos habitudes mentales. Ce qui est en cause n’est pas la capacité d’un langage par rapport à un autre, mais les automatismes, les classifications, les catégories apprises.
Si nous cherchons quels termes, quels mots ou expressions françaises évoquent les idées ou concepts lisibles dans les caractères ci-dessus, l’association-juxtaposition de ces deux mots « le domaine » et « le droit » s’imposent. Il s’agit de terre et de possession. Il s’agit de temps long et de production. Le temps long, la comparaison, année par année des produits de la terre (en qualité et quantité) permet de juger, de comparer, de déterminer les variables et leurs effets. C’est alors au dirigeant, au directeur, d’effectuer les choix, de prendre les décisions qu’il pense nécessaires, entre tradition et nouveauté. Pour cela, il lui faut le temps, celui que donne « le droit », un « droit » de fait, établi, « droit » à cette terre et à cette « domination ».
Ci-dessous, et de gauche à droite, nous livrons à votre méditation trois formes terrestres, trois concepts de « terre », ceux d'une terre-endroit, d'une terre-enclos et d'une terre-empire :
« Transgresser ou au moins bousculer nos habitudes mentales » : c'était bien de cela qu’il s’agissait, mais plutôt que d’habitudes mentales il faudrait parler de paresse ou d’inertie mentales. C’est une logique, une logique économique qui allait apparaitre avec celle de l’écriture : le mouvement, le temps, la mémoire… Connaissez-vous « le moment Séjong » ? (*)