Le temps du Web : A la question : « Les chinois apprennent-ils la calligraphie ? », les automates de Google nous répondent rapidement (0,44 secondes) et, parmi les premiers de « 61400 résultats » nous proposent « Le blog de Julian ». Nous y lisons la réponse à notre question :
« A l’heure actuelle, où les caractères chinois sont écrits par tous à la pointe bille, au stylo ou à l’ordinateur, [la calligraphie] est devenue d’autant plus un art à part entière, enseigné à l’école, pratiqué par beaucoup d’amateurs et de grands artistes. »
Nous découvrons un excellent exposé sur « La calligraphie chinoise : une forme d'écriture mais également un art majeur et un « art d'être » », exposé où nous relevons que :
« Après l’unification de l’empire chinois par Jin Shi Huangdi – qin’shi’h, en 221 avant J .C. et l’unification de l’écriture, la calligraphie au pinceau fait son apparition. Elle est l’apanage des lettrés, hommes de culture et de pouvoir – poètes, écrivains, philosophes, historiens, politiciens occupant souvent des postes importants au gouvernement. Un nouveau style d’écriture apparait qu’utilisent donc les officiels de la cour, le style des scribes ou de la chancellerie – 隶书 lishu (隶li voulant dire « employé », « scribe »). Les caractères sont très proches des caractères actuels et sont lisibles par tout le monde. […] »
« […] Sous le dynastie des Han, au troisième siècle de notre ère, apparait le style « normal » ou « régulier » -楷书 […] C’est maintenant le style qui est enseigné de prime abord dans les écoles et est utilisé couramment en imprimerie. »
Le temps de l'Empire : A gauche ci-dessous, une bouche, une bouche humaine, bouche à nourrir ou bouche d’une parole, c’est l’un ou l’autre et l’un et l’autre… Au centre, une flèche, appelée quelques fois « petite flèche », une menace, un danger... A droite, une hallebarde, une arme posée, installée au sol.
Avec cette installation, avec le temps, avec cette permanence de la force armée, la menace, le danger se transforme, se déplace ; un autre concept apparait : le brigand devient un militaire protecteur, il éloigne le danger. La menace est rejetée à l'extérieur. Le brigand est devenu seigneur... Ces trois éléments s’inscrivent à l'intérieur du caractère « terre-enclos ». Ils se conjuguent pour former l’idéogramme ci-dessous, traduit par « pays, royaume, êtat », remplacé, « simplifié » par celui que nous appelons « terre-empire » (*) :
Le dernier trait de la « terre-enclos » se referme sur un autre « encadrement », celui de la bouche humaine. L’ordre habituel du tracé des caractères « guerriers » est négligé au profit des trois derniers traits qui entourent et soulignent un autre « territoire » : l’humain, la présence et la parole humaines sont comme placés dans (ou soumis à) un « cadre intermédiaire ».
Logiques impériales : L’ambiguïté crée par ces armes qui enferment et/ou protègent la population et/ou la parole se retrouve dans cet idéogramme :
Pour Chine.in : 或 --» ou / soit…soit… / probablement peut-être.
Nous ne pouvions ni ignorer ni passer outre un sentiment surprenant, celui d’une certaine « familiarité » avec « l’écriture des Han », telle qu’elle apparaissait sur cette photo accompagnant un document vieux de quelques deux mille ans. Cette « connaissance » confuse allait bien au-delà de celle de la « petite flèche » et de la « hallebarde » connues et reconnues depuis peu. La poursuite de la lecture du « blog de Julian » nous a donné la réponse dans le chapitre « Le cours de calligraphie » où, sous les photos de sages écoliers (adultes), nous lisions :
« La tenue du pinceau, le maintien, la concentration, le contrôle du souffle, un état d’esprit paisible, sont d’une importance capitale. On compare souvent la pratique de la calligraphie au taiqi chuan ou à la méditation. »
Pour le Web le « taiqi chuan » est bien un « art de vivre » et un « art d’être » qui s’exprime avant tout « en vidéo ». Nous y avons tout de suite reconnu ce qui, dans sa pratique et surtout ses « postures » nous était « familier ».
Logiques comptables : Mais d’autres lectures, plus difficiles parce que plus savantes nous mettaient face à une autre logique de l’Empire, celle de la naissance conjointe de l’écriture et de l’administration des hommes :
« Les guerres de plus en plus fréquentes entre les principautés vont transformer la nature de la guerre du tout au tout. Elles poussent à la création de systèmes de conscription de plus en plus larges et aboutissent à un encadrement sévère des populations dans un réseau administratif aux mailles extrèmement serrées (*). (Sun Tzu, L’art de la guerre, Traduit du chinois et commenté par Jean Lévi) »
La note de bas de page ci-dessus renvoyait au « Discours des Royaumes (Liv VI, Discours du Ts’i) » où ces « mailles extrèmement serrées » étaient détaillées :
« Cinq hommes d’une même ruelle réunissant cinq familles formeront une brigade ayant à sa tête le chef de ruelle ; dix ruelles font un village : cinquante hommes constitueront un détachement dirigé par un chef de village ; quatre villages sont jumelés en une ligue, c’est ainsi que deux cents hommes seront regroupés en peloton qui aura à sa tête le chef de ligue ; dix ligues forment un district auquel correspond, à l’armée, une troupe, dirigée par le chef de district. Cinq districts sont commandés par un gouverneur, c’est pourquoi dix mille hommes formeront une armée sous les ordres du gouverneur…
Soldats et brigades s’entraineront dans les villages, tandis que l’armée s’exercera à la manœuvre dans les faubourgs. Une fois leur instruction achevée, on veillera à ce que les hommes ne changent pas de résidence. […] L’attachement qu’ils éprouvent les uns pour les autres les rendra prêts à se sacrifier mutuellement leur vie. […] »
La main qui parle : Ces « mains qui parlent », ce sont celles de la vidéo ci-dessous. Peut-être serez vous sensibles à son ambiance sonore, aux bruits d’un papier rigide que l’on déplace, que l’on plie… Cette ambiance, ce calme, ces bruits, vous les retrouverez si vous ouvrez le livre « La main qui parle » et regardez, l'une après l’autre, les photos de Tiziana et Gianni Baldizzonne. Ces photos sont accompagnées de textes tout aussi remarquables dont une « Autobiographie de mes mains (*) » de Boris Cyrulnik.
« CONTEMPLER v.t. est emprunté (fin XIIIe s.) au latin contemplari (simultanément contemplare) au double sens de « regarder attentivement » et « considérer par la pensée ». Ce verbe a eu le même développement sémantique que considerare qui a donné considérer : à l’origine terme de la langue augurale – il est composé de cum (→ co-) et de templum de « espace carré délimité dans le ciel et sur terre par l’augure, pour interpréter des présages » (→ temple) – […] Contempler […] au sens abstrait (v.1450) réalise une idée de « méditation », absente dans considérer. […] (Le Robert Dictionnaire historique de la langue française). »
Ce mot de « méditation », cette idée, cette « ambiance » et cette « pratique », ces mouvements calmes, réfléchis, entrecoupés de pauses préparant d’autres mouvements, cette volonté marquée d’un contrôle de l’esprit, tout cela correspond à cet « art d’être » exprimé depuis des milliers d’années par les « penseurs » et les arts « traditionnels » chinois.
L'école en images : L'image ci-dessous et les suivantes sont des montages, année par année, des pages de couverture des douze tomes d’une même collection, celle où nous avions retrouvé les deux objets (cylindre et cône) du petit livre (*).
Il ne s’agit évidemment pas, à partir de ces petites saynétes, de déterminer quelles sont les activités ou quel est le « programme » de mathématiques de ces classes. Nous imaginons simplement que les choix de l’illustrateur ont été vérifiés et approuvés et qu’« à leur façon », ils représentent bien « l’esprit » de cet enseignement.
Tous les enfants (et écoliers) français connaissent et reconnaitront dans les illustrations des deux semestres de cette première année la « cocotte en papier » et sa reconstitution en « Tangram ». Ce que « racontent » aussi ces deux premières images est un changement de support, un changement du « cadre » de vie : les enfants quittent leur cadre « naturel », celui du mouvement, des gestes, des courses enfantines (qui leurs permettaient d’imiter et de « vivre » le vol d’un oiseau) et portent leur regard et leur attention sur « le tableau », un nouveau cadre, un nouveau support, où les « êtres », les « manières d’être » se dessinent par des silhouettes.
La seconde et la troisième années se présentent ainsi :
Histoire sans paroles : C’est la répétition, la reconnaissance d’un même qui est illustrée dans les deux premières images (seconde année d’école). Le pas humain en est le symbole. C’est d’abord le mouvement caractéristique de l’homme, la marche qui est ainsi évoquée. Mais c’est aussi sa trace au sol, l’arpentage, les marques successives d’un pas régulier, une progression pas à pas qui est, si l’on peut dire, au départ, à la base du concept étudié cette année-là.
C’est cette
La première de ces variantes...
... à elle seule, représente une longue histoire, celle qu'impose la simple pratique de l'écriture comptable. Tous les systèmes d’écriture ont du résoudre ce problème, se plier à la même logique pratique : la nécessité d’un code et de symboles permettant d'écrire de façon économique plusieurs fois « le même ». Au bout de cinq mille ans d’exercice, tous les enfants du monde apprennent, d’une façon ou d’une autre, que :
Suivant les époques et les pays, différentes formes de code ont été employées. Elles sont, de nos jours, « réconciliées » à travers le code « machine ». Chaque symbole, de chaque système d’écriture reçoit (a reçu ou recevra) son Unicode.
Multiple et multplication : Du pas humain aux traces des plis, des découpages du second trimestre de la seconde année au tableau des collages de la troisième, la lecture organise sa logique, sa pratique. Elle « transpose », sur le papier les nécessités terrestres, celles d’une économie et d’une administration de « l’occupation du sol ». Le rectangle et le carré sont les formes privilégiées de cette économie. Leurs juxtapositions et leurs empilements établissent que :
L’image du second semestre de la troisième année montre très bien l’opération effectuée : l’écolière dispose au tableau le dernier carré établissant (sans gaspillage, sans place perdue) la mesure de la grandeur (figurée en rouge) alors que son camarade n’en désigne que la silhouette (cette forme que nous appelons habituellement quadrillage, pavage ou carrelage).
De la table à la carte : Avec l’image de couverture du premier semestre de la quatrième année (à gauche ci-dessus), nous retrouvons un effet de mise en scène (la couleur ocre du sol et de l’arrière plan végétal) qui a les mêmes finalités que celles des premières pages du petit livre : mettre en évidence l’opposition entre la surface de base (le plan horizontal de la table et celui du sol) et la hauteur (assurée par l’équerre, mesurée par la règle graduée). C’est cette opposition qui concluait les dix premières pages du petit livre (*) », opposition entre le plan horizontal terrestre support de la surface inférieure (底面) et la hauteur (高), établie sur la verticale, élévée au droit de cette surface.
L’image de droite apparait alors comme une conclusion, comme révélatrice de « l’objectif » des quatre années précédentes. Les enfants-écoliers sont devenus des voyageurs. Leur stature, leur attitude « posée » est adaptée à la « stabilité » de leur nouvel l’environnement. Une route s’inscrit sous leurs pas, en premier plan. Elle impose une perspective vers des bâtiments plus lointains, formant un nouvel horizon qui n’est dépassé que par des montagnes. La nature laisse place au « construit ». Le sol plat est « urbanisé ». Le végétal est étrangement réduit à quelques pots de fleurs qui soulignent eux aussi « la voie ».
Nos écoliers semblent parvenus à la fin d’un parcours initiatique commencé avec les jeux et les courses enfantines de la première image. Les plis de la carte déployée face au sol sont comme un rappel de l’une des étapes de ce parcours. Les formes « solides » étudiées (parallépipèdes ou « pavés droits ») ont elles aussi été transposées du plan de la table au sol.
Les grands : Les images des deux semestres de la cinquième année apparaissent comme résumant, récapitulant et approfondissant ce parcours « initiatique » :
La nature, le vivant sont revenus mais restent en arrière-plan comme le vol de ces deux oiseaux dont se désintéressent ces « grands » écoliers. Ils étudient au tableau d’autres formes de « pavage » du plan, d’autres « motifs » que les carrelages précédents. La seconde image présente elle aussi des « découpes » complexes, des volumes (tables et sièges) et un « construit » (une tour, un clocher) bien inhabituels. La sixième année...
… apparait comme en conclusion des apprentissages précédents : les jeunes écoliers sont des grands. et ils entament cette dernière année avec confiance et même une certaine assurance. Le décor s’est stabilisé, le « construit » s’est installé et « le circulaire » du décor précédent est l’objet de découpages, un cercle est dessiné sur un papier posé au sol, découpé (écolière à gauche) et plié (écolier de droite). Nous savons que c’est l’étude du cylindre qui se prépare. La dernière saynète nous montre nos trois écoliers avec des instruments de « la vie réelle », l’écolière de gauche mime le résultat de l’expérience : trois fois.