*
Le feuillet : Un souvenir... une rencontre... un livre : « Espèces d’espaces ». L'ouvrir et cet instant, cette surprise : voir s'échapper et tomber... une sorte de « signet », un « feuillet », inséré entre deux pages... Se baisser, relever ce feuillet, le redresser, le prendre en main pour le lire (*)... l'émotion... la découverte d'une « pensée — objet », d'une « pensée-signe-vie »... le lapsus, le laps,.. le temps, l'espace... le temps/l'espace. Tiens... Cóng...
Nous avons re-commencé notre lecture... quelque chose avait bougé, changé... Les deux premiers chapitres, les deux premiers « espaces » étaient simples, familiers : la page, le lit... L’émerveillement était d'y re-connaitre l’élémentaire de notre géométrie et l’élémentaire de son vocabulaire...
Le plaisir... suivre lettre à lettre ce « strictement » de l'« h-o-r-i-z-o-n-t-a-l-e », et ainsi le voir flécher – donner un sens - vectoriser – noircir le vierge (l’espace), l’entre... l’articulation... articuler... tourner quelques pages :
Grandeurs et dimensions - Mode d’emploi : « On utilise généralement la page dans le sens de sa plus grande dimension. Il en va de même pour le lit. ». Cette phrase ouvrait la page 33 ci-dessus et renvoyait à la page 21. Ces deux pages au numéro impair (pages de droite) faisaient face toutes deux à une page blanche et non numérotée, précédée d’une autre page au centre de laquelle le titre était comme souligné, accompagné...
... d’une citation dont la longueur et la valeur apparaissaient « calculées » (ré-évaluées, re-calculées) au plus juste...
... parcourir la page... se coucher dans son lit... nous conduisaient à deux autres titres : « Les choses » et « La vie mode d'emploi », deux autres livres où Georges Perec racontait le quotidien, le familier. « On utilise généralement la page dans le sens de sa plus grande dimension. Il en va de même pour le lit. ». Que dirait-il du tableau noir ?
Que dirait-il du tableau noir, de la craie et de son usage, de ces savoirs qu’elle tente de fixer, de ces paroles qui s’effacent... Pouvait-on, pourrions-nous recréer, redonner vie à ce « laps d’espace » ? Saurions-nous « [...] l’interroger, ou plus simplement encore [...] le lire [...] ? »
Prise en main : « Les choses », quelque chose bougeait, s’animait. La parole, l’inouï de la parole, « l’inouï de la parole que la parole recouvre... ». Les pièces du puzzle s’emboitaient peu à peu...
Le travail du l'ouvreur puis du coucheur précédaient celui du leveur. La fonction, le poste, les différentes postures avaient un nom (*).
Les fibres végétales, choisies, lavées, épurées, les gestes de l’ouvreur... l’alternance des pôles, l'enchainement du droite-gauche par le haut/bas...
... le croisement de la chaîne et de la trame (*)... le texte, le tissu du texte... , Le wén ?
文 --» wén caractère / écriture / texte / composition littéraire / écrit / langue / culture / civil
La « chose-rectangle » : Gauche-droite, haut et bas, (et/ou vice-versa (*)). Deux formes, deux formats, deux « élans » disponibles. L’ouvreur et le coucheur orientaient l’espace de la feuille. Le leveur dressait ce choix devant l’homme debout, l'homo-sapiens : shi shenme dongxi ?
Le rectangle, la forme-rectangle, « la chose-rectangle » comme un élan ? La force, le shi du rectangle ?
Une première surprise : cet élan et ce choix se retrouvaient au niveau de la fabrication industrielle du papier ; le sens de marche de la machine déterminait le sens du grain (meilleure résistance et sens du pli). Ci-dessus à gauche sont rappelées les dénominations et les conventions de cette industrie.
Seconde surprise : l’importance de la notion mathématique d’« espace fibré », d'espace « vectoriel fibré » et de produit externe : ci-dessus à droite, le diagramme correspondant (« Les enjeux du mobile ») par lequel Gilles Châtelet exprime ce qu’il appelle « la dialectique intensif / extensif ».
Le produit « orienté » : Cette différentiation de sens entre 100 × 70 et 70 × 100 n’était qu’une convention d’écriture et d’affichage, une convention pratique entre fabricants et « professionnels » de l’industrie du papier. La notion de « produit orienté » étudiée et « racontée » par Gilles Châtelet était d’une toute autre importance. Au niveau, élémentaire, qui était le nôtre et celui du petit livre, l'imagerie, l’idéographie et la cinématographie nous offraient une approche surprenante et passionnante...
Aucun enfant et, à sa suite, aucun adulte ne peut confondre l'intensif horizontal de la course, et celui, vertical, du saut ou du lancer. Une seconde, cette troisième seconde où le rectangle, tout à coup, s’animait, sautait, sursautait avant de reprendre sa place, son assise... Une seconde où le rectangle se « lançait » et... retombait aussitôt, rebondissait... pataud, maladroit... manifestement trop lourd. Trois secondes : il fallait bien peu de temps pour montrer... Il était bien plus difficile et plus long de dire...
... le sol - l'assise - la base...
Comment raconter la force de la vie, comment exprimer cette force vitale qui fait de chaque végétal, de chaque plante, un fragile témoin de cette force ? La cinématographie, les superbes images du Maître d’armes et de la jeune aveugle y parvenaient (*). Gilles Châtelet décrivait, proposait, écrivait :
« Chaque fibre [monade-fibre] expérimentant un chemin dans l’univers B [la base] établit une sorte de synthèse associée à chaque chemin. »
Post-scriptum : Le titre « Aire de figures simples ». Quatre minutes et quinze secondes d’animation (*). L’idée était audacieuse et passionnante. « L’animation » provenait des figures simples elles-mêmes : en se présentant et en se représentant comme de véritables « personnages », elles nous incitaient à comparer et distinguer…
« Le rond », le disque, en posant et composant le point initiait et marquait cette mise en scène. Il était à la fois le point « sur le I » et le point « final » d’une première phrase, une première séquence de trois secondes. Ce « gonflement-pulsation » était une trouvaille et une annonce…
Les figures s’arrachaient à la surface plane, l’une après l’autre, de la gauche vers la droite, Elles semblaient ainsi « faire place » mais aussi déclencher une autre pulsation, vite interrompue et comme stabilisée par (sur) l’horizontale : La ligne d’écriture s’annonçait, installait son importance.
La métaphore était belle : le savoir comme un nuage, difficile à voir, à saisir parce que trop diffus, trop dispersé. La réalisation, la mise en scène était soignée : le tableau noir, la craie, la poussière de la craie qui peu à peu se rassemble, s’installe, se fixe…
La mise en scène du carré et l’explosion du nuage de poussière de craie initiant les dix secondes d'animation ci-dessus avaient, elles aussi, un sens métaphorique. Le carré original, mémorisé (le savoir), échappait à l’explosion, se déformait, se transformait en un rectangle.
Carré ou rectangle, l'un comme l'autre, permettaient de disposer...
... et de comptabiliser facilement les unités de mesure. Le problème posé était celui du langage. Au niveau des mathématiques « élémentaires », il était souvent inaperçu et facilement ignoré. Ce qui était montré était simple à comprendre et ce qui était dit « s’interprétait » facilement. Qui se souciait de remarquer ces 5 cm sur 15 cm ? Quel grammairien serait assez sévère pour corriger la conclusion ci-dessus. Chacun d'entre nous, grammairien ou pas, conviendra pourtant que la phrase :
« On peut ranger 15 colonnes de 5 carrés de 1 cm² » se traduit naturellement par :
Trois fois plus... grand mais aussi — et en même temps — trois fois moins.... Depuis des milliers d'année, cette expresion avait un sens. Depuis des milliers d'années, elle donnait forme au calcul des grandeurs.
« L'aplomb et l'équilibre » : Nos premières découvertes... « Peindre les idées » :
力 --» force / vigueur / puissance / capacité / s'efforcer de / faire tout son possible / de toutes ses forces / de son mieux / (19e radical)
L'élan de la forme... dans un premier temps nous avions lu « élan de la force ». L'expression apparaissait au troisième chapitre du livre de François Jullien « La propension des choses » (*). Après 1.Le potentiel nait de la disposition (en stratégie), puis 2.La position est le facteur déterminant (en politique), le titre 3 « L'élan de la forme, l'effet du genre » annonçait des « réflexions sur l'art », conduites par une interrogation : en quoi « l'art aussi [est-il] à concevoir en termes de che, comme dispositif ? ». La révélation/recréation était là, dans ce procès, ce processus que François Jullien opposait à la création : le shi, l'élan de la forme se trouvait, « se lisait »...
... ce diagramme (Les enjeux du mobile., page 172)...
... diagramme précédé par ce vis-àvis, (page 172/173)...
... tous deux « annoncés » par cette phrase, page 162 :
... le discret et le continu, l’extensif et l’intensif tous deux résumés et figurés par le geste, le geste humain : la dispersion horizontale, terrestre (produire...) et l’épuisement continu vers le haut (amasser, accumuler... (*) ), la recherche, la constitution d'une unité... (la volonté et/ou l'espoir d'une unité solide, durable).
Les « chouren » 疇人 : Le contexte historique des premiers « Art du calcul » parus en chine était celui de toutes ces sociétés nées de l’agriculture ; mille ans après les scribes égyptiens et mésopotamiens, les fonctionnaires des premiers empires chinois, mathématiciens et astronomes sont des « chouren». 疇 人 : l’homme (ren) avait cette capacité : transformer la force, la force brute, brutale en procédé, en technique « domestique ». Domestiquer, mettre en marche, en ordre de marche, un pas après l’autre...
... la vie : celle de la terre et celle du ciel, traduire, re-traduire cette vie en signes terrestres « utiles », pratiques : la force...
... mais la force comme chapeautée, domestiquée, contrôlée...
方 --» direction/côté/méthode/moyen/carré/en ce moment .
Les sciences de l'ingénieur : En présentant comme une [...] référence obligée [le] classique des classiques [...] « L’art du calcul en neuf chapitres » Jean Claude Martzloff note que :
« [...] ceux auxquels ils étaient destinés avaient des préoccupations fort concrètes car il y est sans cesse question d’arpentage des champs, d’échange de grains, de taxes, de travaux de terrassement. [...] »
En Chine comme en Egypte et en Mésopotamie, l’accroissement de la population était lié à la production agricole. La Chine se différenciait cependant par son climat et son relief qui imposaient une hydrologie bien difficile à maitriser :
« La maîtrise de l’eau est une constante dans l’histoire chinoise. Les grands fleuves He et Jiang (fleuves Jaune et Yangzi) sont les épines dorsales de cette nation, leurs affluents en composent le système nerveux. Mais malgré d’importantes capacités, la disponibilité en eau par habitant figure parmi les plus faibles au monde. Avec la progression des zones arides et une pollution généralisée, le contrôle des eaux semble aujourd’hui plus que jamais une priorité pour les autorités chinoises. Depuis la maîtrise des crues du Fleuve Jaune, il y a plus de 4.000 ans, la Chine s’est lancée dans le remodelage de la nature. » (*)
Un titre : « Physique grecque et physique chinoise ». Six pages de Michel Soutif et cette conclusion :
« [Les grecs] privilégient la théorie au point même de rejeter souvent toute idée d’application. » [...] « Tout au contraire, les chinois placent avant tout l’observation de la nature, l’énoncé de lois expérimentales et l’application de leurs découvertes au développement de la société. En conséquence, les sciences de l’ingénieur chinoises auront souvent plus de 1000 ans d’avance sur celles de l’occident. »
Cette distinction (« sciences de l’ingénieur ») était importante. Michel Soutif appuyait ses analyses sur le « technique ». Ainsi s’opposent :
« [...] En Occident, l’esclavage, extrêmement répandu, apporte l’essentiel de la main d’œuvre sur terre comme sur mer, et son bas prix rend inutile toute réflexion sur les énergies naturelles.
En Chine, l’esclavage est beaucoup moins généralisé et souvent restreint aux besognes ancillaires, si bien que la nécessité de dominer la nature conduit à des applications empiriques assez systématiques de toutes découvertes. Dans ce contexte, les explications logiques viennent au second plan, d’autant plus que les administrateurs sont recrutés sur des concours essentiellement littéraires et tout à fait étrangers au raisonnement scientifique. [...] »