
Métaphores : Notre « vision du monde » s’était affinée. Affinée et enrichie. Nous savions à présent reconnaitre et admettre la contradiction. Ce qui, auparavant, était pour nous « contrariété » avait disparu. Le sens était contresens, sens et contresens, sens ou contresens, conjonction et/ou disjonction... Oui et non. Oui mais non. Les oppositions, à l’exemple du « Vide et Plein » (*) étaient devenues des couples en action, un potentiel et l’indication d’un mouvement. La contrariété n’avait pas disparu, elle avait pris une autre forme et là encore, nous utilisions les mots, le langage mis à notre disposition par le professeur Joël Bellassen : ce qui avait changé était « Le statut de la métaphore » (*). Elle n’était plus « une simple image passagère ». Elle s’interposait comme « partie prenante de la signification ».
Oui et non. Oui mais non. Nous étions là encore, là aussi, dans l’entre-deux mais dans un entre–deux plus confortable, voulu, pensé, choisi. Peu importait le signe (ou l'absence de signe) pour cette bascule, cette balance du pensée-signe-vie. Emanuele Banfi et Marie-Dominique Popelard nous avaient appris à jouer avec ce vide et ce plein de l’entre-deux, ce « ou vice-versa » du couple pensée/langage ou/et oral/écrit (*). Le vide de « l’entre deux » était devenu un espace médian, celui de la recherche. Nous voulions qu’il devienne aussi celui du souffle, cette « brèche ouverte dans l’espace » cet « entre » entités vivantes (*) des poèmes de François Cheng...
Le dispositif : Devant nous un livre, un titre : « La propension des choses » sous-titré : « Pour une histoire de l’efficacité en Chine ». Le souffle était là. François Jullien, à sa façon, nous l’indiquait, nous proposait de le voir (de le redécouvrir ?) à travers (... au cœur du... ? ... dans... ?) le dispositif... En première page, en « Introduction », en première(s) ligne(s) :
En bas de page cette question ...
... suivie de cette dernière ligne et du « bas de page » qu'elle annonçait :
et, en tournant cette page ...
Pour Chine-in :
势 --» puissance / influence / pouvoir / tendance / configuration / situation / apparence /
geste / attitude
時 --» temps / heure / souvent / actuel / courant / occasion
... le souffle, l’énergie, la force, le potentiel... et le moment, l'occasion, la puissance : le shi...
Au fil de ces lectures et comme annoncé, la démarche de François Jullien (la recherche d’une pensée à l’œuvre, perçue de l’intérieur (*)) nous permettait de redécouvrir notre langage, notre parole, nos mots. Ainsi :
Les choses : L’œuvre de François Jullien était impressionnante, intimidante. De lecture en lecture, nous avions cependant pu constituer quelques points de repère : ce statique/dynamique nous renvoyait à d'autres extraits et à un autre livre : « Penser d’un dehors (la Chine) »... (*)
... « en attente de son concept ou ce qui est en panne de concept »... nous étions revenus au petit livre, aux mathématiques élémentaires et à cette remarque du professeur chinois (*) :
« […] quand les enfants ne connaissent pas un concept, ils ne l'utilisent simplement pas et ils n'apprennent les caractères pour ce concept que plus tard, quand ils se familiarisent avec lui […] ».
Les « choses », leur disposition, le modèle, la physique, le physique des choses... Apprendre (à-prendre), se familiariser... Une motte de terre, symbole de puissance et d’une position, d’un humain attaché à sa terre... Tout était là...
La pointe : Aucune parole n'était nécessaire...
... la position des mains, l’opposition des pouces aux autres doigts amorçait le pli puis le repli de la feuille. La pointe permettait une juxtaposition précise. La facilité avec laquelle les mains et les doigts s'associaient ou se contrariaient pour réaliser chaque « prise en main » et chacun des différents « appuis » nécessaires était fascinante (*).
L’ordinateur permettait les « captures d’écran » et la mise en scène de différents arrêts sur image. Quels noms donner à tous ces « objets », aux différentes « choses » qui pouvaient apparaitre, se détacher les unes des autres à tel ou tel moment ?
Deux « choses », deux « formes » étaient connues, reconnues, nommées et différenciées par les enfants : le rectangle et le carré.
Transformer un rectangle pour réaliser (pour former) un carré était un jeu d’enfant :
Le regard et la lecture : Aucune parole n'était nécessaire...
Je me souviens... La feuille, le feuillet était tombé, s’était échappé du livre « Espèces d’espaces », se distinguant des autres pages par cette liberté et par un format plus réduit. Il nous fallait nous pencher, le ramasser, le prendre en main, le dresser devant nous :
François Cheng nous invitait à faire de ce vide de l’entre-deux une source, une ressource (*) à interroger ce qui n’était peut-être encore qu’un murmure, l’écho de nos souvenirs...
... par contre, après que chacun ait pu expérimenter cette simple manipulation, cette véritable « prise en main » de l’idée, on pouvait parler, échanger des mots, du vocabulaire...
Le mouvement, cette disposition, cette disponibilité au mouvement, à ce mouvement-là, à cette chute... S’échapper, tomber et cette contradiction : cette chute n’était pas celle de l’oubli, en tombant ce feuillet se révélait, se constituait... Le saisir, le dresser devant nous le re-créait. Il devenait une page, il se re-constituait en page, mais en page événement, en page marquée de l'événement...
... le ranger, précieusement, pouvoir, savoir le/la retrouver...
Bas de page : Le premier chapitre d’« Espèces d’espaces » était titré et consacré à : « La page ». Parmi les exemples donnés (« Je suscite des blancs, des espaces (sauts dans le sens : discontinuités, passages, transitions. »), cet aveu :
« Je renvoie à une note de bas de page1. [...] » :
C’est par un de ces renvois qu’Emanuele Banfi et Marie-Dominique Popelard avaient attiré notre attention :
« Viviane Alleton 1 le dit dans un article justement intitulé « L’oubli de la langue et l’“invention”de l’écriture chinoise en Europe [...] »
A partir de ce renvoi (1. Alleton,1994), le Web offrait l’accès à cet article, une vingtaine de pages et, en conclusion, cette phrase :
« Ne faut-il pas examiner, au-delà du processus de lecture qui est tout à fait identique en chinois et dans les systèmes alphabétiques, ce qui se passe lorsqu'il y a arrêt sur image, c'est-à-dire quand on fait abstraction du texte pour considérer un caractère isolé ? »
Cette « mise à part » de l’arrêt sur image par l’italique était le nœud, le cœur, la clé... (les métaphores ne manquaient pas) de notre recherche. La référence, le véritable « renvoi » (la charge de la preuve), désignaient la neurobiologie, les « travaux sur la latéralisation cérébrale ». Viviane Alleton la décrivait ainsi :
« Depuis une trentaine d'années, les travaux sur la latéralisation cérébrale semblaient prouver que l'écriture chinoise n'était pas traitée par le même lobe cérébral que les écritures alphabétiques : celles-ci paraissaient être du ressort du côté gauche du cerveau, alors que l'écriture chinoise semblait contrôlée, comme les images, par le côté droit. Tout récemment, des équipes sino-américaines ont découvert que c'était à la fois vrai et faux : la distinction existe bien si l'on présente au sujet un caractère isolé, mais dès lors qu'il y a un texte, même minimal, le traitement se fait du côté gauche, comme pour les écritures alphabétiques. »
Pour nous, la référence, le « médiateur » était Jean-Pierre Changeux :
« En parallèle, une différenciation des hémisphères se produit : l’hémisphère droit dans l’analyse « iconique » ou pictogène ; le gauche dans l’analyse computationnelle verbale et sémantique ».
Logique de l'appariement : Le
A partir d'ici : Le « passage » de la page 1 (*) du petit livre à la page 2 nous avait surpris. En haut de la page 2 (*), une courte phrase écrite :
… que Chine.in découpait et traduisait par :
« 从 (à partir d'...) », « 这里 (ici...) », « 可以看出 (on peut voir que :) ».
Cinématographie : Comme Joël Bellassen et François Julien, nous appartenions à cette génération difficilement qualifiable de l’« après-guerre », celle des « baby-boomers », la « génération-pivot ». Notre formation était celle des mathématiques, du technique et des sciences. Nos grandes images étaient d'abord celles de la B.D. et du cinéma.
Cinquante ans plus tard, nous nous demandions encore que penser, de la vie, du langage, de nous-même. Nous avions depuis longtemps remarqué que notre formation mathématique et technique nous mettait à l’abri des confusions habituelles entre les certitudes provenant de la pratique d’un langage logique et l'usage du chiffre. Du même mouvement, nous avions dû accepter notre ignorance, notre maladresse à lire et à penser le contradictoire.
puis cette « capture d’écran », un copié-volé au film « Le maître d’armes » de Ronny Yu avec Jet Li...
La pointe : Aucune parole n'était nécessaire : (*).
François Cheng nous invitait à faire de ce vide de l’entre-deux une source, une ressource (*) à interroger ce qui n’était peut-être encore qu’un murmure, l’écho de nos souvenirs...
Ce fut là, dans ce « laps d’espace », le moment où s’est « insérée » notre décision : ne plus espérer « lire » ces auteurs savants en attendant (en espérant) l’instant de grâce « c’est bien ce que je pensais... ». Utiliser nos mots, notre langage, nos propres « formulations »... Oser traduire.
Entre nous : Nous sommes, incontestablement, vous (*) et nous des « usagers de l'espace ».
, François Jullien nous l'indiquait, au cœur de ce que appelait le dispositif : le souffle, l’énergie, la force, le potentiel, le shi... En première page, en « Introduction », ces premières lignes :
Nous étions une génération en voie de disparition. Cet effacement progressif n’avait rien d’inquiétant, il n’était que la conséquence de nos particularités : être nés en 1943, en province, avoir suivi les « orientations » scolaires de cette époque, avant d’être nommé (et même « certifié »), en 1970 professeur de mathématiques. Il nous était alors demandé de « prendre en charge » un enseignement des mathématiques marqué par une ambition : la continuité, un même langage, les mêmes noms pour les mêmes concepts, de la maternelle à l’université.
Un plaisir. Le vide de « l’entre deux » était devenu un espace médian, celui de la recherche, du souffle, le souffle du Tao, celui que François Cheng associait à l’éclair se détachant du nuage, le « Souffle du Vide-médian » qui passe « entre » les entités vivantes (*) [...] (*) [...]. Un moment de ré(re)création. Prendre (reprendre) en main nos idées, nos pensées, des moments de notre vie...
La « disposition des choses », « penser » les choses, mais ...
Le dispositif : Devant nous, face à nous, à découvert comme annoncé : « l’inouï », cet « inouï de la parole que le langage recouvre » (*). Dans notre main, ouvert, L’un des nombreux livres de François Jullien : « La propension des choses ». En première page, en Introduction ...
Tourner la page : Nous pouvons maintenant reprendre la lecture de notre petit livre et revenir à notre surprise lorsque nous avons tourné la première page, la page 1 (*) :
La première ligne, en haut de la page 2 (*) :
avait manifestement pour fonction de marquer, d'annoncer ce changement :
Une médiation : Georges Perec nous proposait de le suivre (nous, vous*) « à l’extérieur de nous », dans l’espace, dans « ce au milieu de quoi nous nous déplaçons, le milieu ambiant, l’espace alentour. ». Pourrions-nous, saurions-nous « [...] à partir de [quelques] constatations élémentaires [...] », développer quelques remarques. Pourrions-nous surtout oser « les écrire », écrire un (notre) « Journal d’un usager de l’espace »...
Le monde en vrai : L’œuvre de François Jullien était impressionnante, intimidante. Elle ne se prêtait pas facilement à ce qui, peu à peu, nous était devenu habituel : une démarche, notre démarche, celle de notre recherche. De livre en livre, de lecture en lecture, quelques points de repère s’imposaient, se révélaient peu à peu comme émergeants de cette étendue, de cette richesse. Nous voulions suivre une démarche, François Jullien nous offrait des exemples de cheminements d'une pensée.
Montagne(s)-eau(x) : "La grande image n'a pas de forme"... François Julien nous présente une recherche « [tentée] à partir de la riche littérature critique que les lettrés chinois, sur près de deux millénaires, ont consacrée à la peinture. ». Cependant, en remplaçant ce mot par celui de « cadre » nous nous rassurons assez pour reprendre notre lecture et « plonger dans l’indifférencié, dans ce qui n’est pas assignable ni non plus représentable, ne peut donc avoir la consistance d’un ensoi, se contituer d’« être » et, Gegenstand, se « tenir devant » - découpant ses arêtes – l’Œil ou l’Esprit ; [ce] dont nous faisons sans fin l’expérience nous reconduisant à l’indéfinition du foncier, [...] »